Si Jérôme Besnard n’était pas né en 1979, on jurerait qu’il combattit aux côtés de l’armée d’Afrique durant la seconde guerre mondiale, qu’il assista aux nombreuses dérives de la bande des Hussards et qu’il fréquenta tout aussi bien Charles Maurras que le général de Gaulle ou le comte de Paris. Car c’est en conteur nostalgique d’une époque dont il a rencontré bien des témoins que Jérôme Besnard nous livre les secrets d’un temps où la droite avait encore des penseurs, à commencer par l’extraordinaire figure de Pierre Boutang. Professeur de philosophie, journaliste, poète, romancier, critique littéraire, Boutang fut sans aucun doute un des acteurs et observateurs de la vie politique et intellectuelle les plus marquants du XXème siècle.
Saint-Étienne, Lyon, Vichy, Rabat, la palmeraie de Gabès, Saint-Germain-en-Laye, Paris bien sûr… Avec les lieux, Jérôme Besnard écume la vie de ce penseur hors norme, de ses passages sur les bancs de la rue d’Ulm, au gouvernement du général Giraud, dans les bars de Saint-Germain-des-Prés, à l’université de Brest puis, enfin, en Sorbonne. Et il résume ainsi la belle apostrophe de François Mauriac : « L’Action française est un rond-point tragique d’où partent en étoiles des destins. »
En fait de destin, celui de Pierre Boutang aura toujours été guidé par « une philosophie critique appuyée sur une culture et un corps de doctrine considérables », selon les propres mots de son ami Roger Nimier. Fils spirituel de Charles Maurras, membre d’une Action française sujette à certaines compromissions pendant la seconde guerre mondiale, le professeur de métaphysique sait trier le bon grain et l’ivraie. À Lucien Rebatet qui plaide pour une collaboration active, la réponse de Boutang est sans appel : « Je préfère le pire des juifs à n’importe quel honnête père de famille allemand occupant mon pays ! ». C’est aussi cette lucidité qui conduit Boutang à refuser l’enfermement d’une partie de sa famille de pensée dans une opposition à la politique d’indépendance menée par le Général de Gaulle. Avec ce dernier, ils partageront d’ailleurs la même velléité de redonner un monarque à la fille aînée de l’Eglise.
À côté de la politique – mais surtout au dessus -, il y a l’œuvre. Le lecteur assidu de Dante et saint Thomas, l’admirateur de William Blake, le passionné de Dostoïevski et des Illuminations sait-il au moins que ses écrits rivalisent avec ceux dont il s’abreuve ? Jérôme Besnard nous offre ainsi de savantes recensions sur l’Ontologie du Secret ou Les Abeilles de Delphes, tout en ne manquant pas d’exposer la bibliographie de son sujet d’étude, un véritable trésor de livres à redécouvrir. Sans oublier La Nation Française, l’hebdomadaire qu’il dirigea de 1955 à 1967, où écrivirent Daniel Halévy, Antoine Blondin, Gabriel Marcel mais aussi Philippe de Saint-Robert et Gabriel Matzneff… Ce journal ouvertement royaliste et nationaliste réussit le tour de force de défendre à la fois la présence de la France en Algérie et la politique d’indépendance nationale du général de Gaulle, une vision capétienne de la France et la défense de l’Etat d’Israël !
Entre histoire, politique et philosophie, Jérôme Besnard propose aussi avec humour et style bon nombre d’anecdotes pour le moins extravagantes. Car l’on peut bien être grand philosophe et grand buveur, grand chrétien et grand bagarreur. Comme le résume Besnard, il fut pour les écrivains de droite de l’après-guerre « un chef de file et un meneur ».
Après une anthologie remarquable sur la Contre-révolution[1. Jérôme Besnard – La Contre-Révolution, le Monde, 2012.], c’est en toute logique que Jérôme Besnard a choisi de pousser encore un peu plus la réflexion et d’insister sur l’extraordinaire figure d’un contre-révolutionnaire pour le moins révolutionnaire. Blondin, à son propos, parlait d’un « âge de Pierre ». Il n’est pas si lointain : Redécouvrons-le !
Jérôme Besnard, Pierre Boutang, Muller édition, 156 p., 14,50 euros.