Le Figaro s'est procuré la décision judiciaire qui a validé l'enquête des juges. Très accusatrice pour l'ex-directeur du FMI, cette analyse est totalement réfutée par la défense.
L'enquête sur l'affaire du Carlton entre dans sa dernière ligne droite. Les juges avaient mis le dossier en sommeil plusieurs mois, le temps que d'importantes questions de procédure soient tranchées. Désormais, les magistrats de Lille ont relancé leurs investigations. Dodo la Saumure, soupçonné d'avoir fourni des filles au réseau présumé, est interrogé depuis mardi. De nouvelles auditions et des confrontations, notamment entre les prostituées et les participants aux soirées de Lille, Paris ou Washington, doivent être organisées. Selon un calendrier très indicatif, l'instruction pourrait être bouclée avant l'été.
Le 19 décembre dernier, la cour d'appel de Douai a entièrement validé la procédure. Principalement la mise en examen de Dominique Strauss-Kahn pour «proxénétisme aggravé en bande organisée» que ses avocats, qui ont déposé un pourvoi en cassation, contestent vigoureusement. Le Figaro a eu connaissance de l'arrêt rendu à Douai. Les juges estiment que des indices graves ou concordants rendent «vraisemblable la participation effective et déterminante» de DSK dans des «actes de proxénétisme». Voici leur raisonnement.
• Des prostituées, pas des libertines
Le premier objectif des magistrats est de démontrer que DSK savait que les femmes présentes lors de ces rencontres étaient, non des «libertines», mais des prostituées rémunérées, condition sine qua non pour le soupçonner ensuite d'avoir pu «aider, assister ou protéger la prostitution d'autrui ou en tirer profit», tel qu'est défini le proxénétisme dans le Code pénal. Les juges s'appuient donc sur un faisceau d'indices censés prouver que l'ancien directeur du FMI ne pouvait pas se méprendre sur la qualité des jeunes femmes. Certains sont plutôt subjectifs comme «leur accoutrement et comportement, aussi provocants que vulgaires». Ou reposent sur le témoignage d'une jeune femme, «maîtresse un temps de DSK», qui évoque des prostituées «se connaissant toutes, ne participant ni aux conversations ni au repas, se déshabillant dès le début de la soirée et entamant des relations sexuelles sans aucun préliminaire». Sans compter les dépositions crues de professionnelles ayant participé à ces soirées. L'une, «Jade», parle d'«une véritable boucherie», l'autre d'ambiance «bestiale» à Washington et de «pure consommation sexuelle». Les juges ne se privent alors pas de rappeler les déclarations de l'ex-ministre qui assurait, sur procès-verbal, que «le libertinage suppose le consentement et le plaisir commun».
• Une garçonnière avenue d'Iéna
C'est un vieil ami de Dominique Strauss-Kahn qui lui aurait laissé l'usage de cet appartement, situé avenue d'Iéna, dans le XVIe arrondissement de Paris. Comme, auparavant, celui de la rue Mayet, rive gauche, où la romancière Tristane Banon affirme avoir subi une tentative de viol en 2003. Cette garçonnière est l'une des cartes de l'accusation - «l'acte matériel de proxénétisme», est-il écrit -, qui estime que DSK «a mis ces lieux à la libre disposition de soirées à caractère sexuel, en présence de prostituées dont il connaissait l'activité» pour des prestations payées de 500 à 1000 euros. Lui est encore reproché le fait d'avoir réglé des chambres à L'Hermitage gantois à Lille et à l'Hôtel Amigo à Bruxelles, lieux de diverses rencontres tarifées.
• Un «instigateur» présumé
Les magistrats franchissent là un pas supplémentaire, estimant que DSK n'aurait pas été un simple bénéficiaire de ces parties fines mais aurait «initié et largement favorisé en toute connaissance de cause la mise en place d'un système fondé sur la complaisance de son entourage immédiat dans le but de satisfaire ses besoins sexuels». Ils rappellent le témoignage d'une jeune femme affirmant avoir été «sélectionnée» pour répondre aux attentes de l'ex-patron du FMI, les trois voyages à Washington en 2010 et 2011 «à l'invitation» de ce dernier et cette remarque d'un des participants à propos de l'homme politique: «C'est le leader qui nous aime moins sans les filles.»
L'ambiance dans le petit cercle réunissant souvent deux chefs d'entreprise et un commissaire de police autour de DSK est ainsi décrite: «Il s'est installé autour d'un homme puissant ayant un destin national un petit cercle relationnel jouant sur le secret pour conserver son caractère privilégié et sur la flatterie.» Et les magistrats de conclure: «La programmation de ces soirées ne se faisait qu'en fonction de ses disponibilités d'agenda. Il ne laissait aucun message sans réponse, relançant même son homme de confiance (Fabrice Paszkowski, le chef d'entreprise du Pas-de-Calais avec qui il échangeait de multiples textos, NDLR) (…), exprimant ses désirs (…), lançant des options voire des exigences sur la représentation féminine.»
La cour d'appel de Douai a donc jugé fondée la mise en examen de Dominique Strauss-Kahn car reposant sur «des indices graves ou concordants». À la fin de l'instruction, si les juges maintiennent cette analyse et renvoient l'ancienne figure socialiste devant un tribunal, cette thèse sera évidemment combattue par la défense. Les avocats de DSK, qui accusent déjà les magistrats de «faire de la morale», s'emploieront à démolir «une aberrante construction intellectuelle».
Non sans arguments puisque la plupart des protagonistes - quelques prostituées exceptées - ont, jusqu'à présent, validé la thèse d'un homme à l'emploi du temps surchargé croyant participer à des soirées libertines et ne se préoccupant pas de leur organisation. Ce mur solide entourant DSK est d'ailleurs l'un des principaux atouts de la défense. C'est lui que les juges vont tenter de fissurer en organisant des confrontations.
Outre DSK, huit personnes sont mises en examen dans ce dossier et, encourraient, si l'affaire venait à être jugée en correctionnelle, jusqu'à sept ans de prison.
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