La seule politique responsable consiste en la réduction drastique de cet impact. Elle est seulement applicable dans le modèle d’économie que la plupart des auteurs de ce livre proposent, où les activités économiques sont menées à une échelle beaucoup plus petite et répondent à un marché largement local ou régional.
La grande dépossession ne peut manifestement pas se poursuivre éternellement. L’État et les organisations deviennent déjà rapidement incapables d’assurer les fonctions qu’ils ont enlevées à la famille, la communauté et l’écosystème, ou le font de manière de plus en plus insignifiante. Ceci s’applique aussi pour la captation des fonctions auparavant remplies par les écosystèmes de la Terre et la biosphère et dont les rôles sont de maintenir les conditions nécessaires à la vie sur la planète.
Par exemple, si le climat du monde doit être stabilisé, ce ne sera pas par les travaux absurdes de géo-ingénierie que certains scientifiques ont proposé mais en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et en augmentant également drastiquement la capacité de la biosphère à absorber le dioxyde de carbone. Cela signifie de permettre aux forêts mondiales salement dévastées, aux sols érodés et au phytoplancton marin asphyxié de se rétablir, ce qui n’est possible que si l’impact de nos activités sur notre environnement est suffisamment réduit. Autrement dit, l’économie globale doit être remplacée par une économie locale avec des besoins énormément réduits en énergie et ressources.
Une autre fonction essentielle que l’Etat n’est particulièrement plus en mesure d’assumer est la prestation d’aide sociale à ceux qui sont dans le besoin. Même avant que l’économie mondiale soit formellement institutionnalisée, le coût financier de l’aide sociale croissait plus rapidement que le PNB dans beaucoup de pays industriels et ne pouvait très clairement pas être soutenu longtemps. Aujourd’hui cependant, pour maximiser la compétitivité, l’Etat-providence est systématiquement marchandisé, monétisé et fourni à l’attention de la minorité qui peut se l’offrir par le biais du système de marché, même si le besoin augmente considérablement au fur et à mesure que la mondialisation économique accroît le nombre des nécessiteux.
Une autre fonction clé que l’Etat et les entreprises sont encore de moins en moins capables d’assumer est la fourniture de moyens permettant de satisfaire la demande de nourriture et de biens matériels des individus, ce qui dans le monde moderne correspond à des emplois. Le fait que l’économie globale soit capable de fonctionner avec seulement une petite fraction de la main-d’œuvre disponible, de plus en plus réduite, et que la masse incomparablement plus grande des gens marginalisés cherchera des emplois d’ici quelques années a été souligné tout au long de ce livre. Selon un article du Monde Diplomatique, l’économie formelle de la Côte d’Ivoire fournira, dans quelques années, moins de 6 pour cent des emplois nécessaires, et le cas de ce pays n’est probablement pas isolé.
De plus, et en grande partie en raison de programmes d’ajustement structurel successifs, le pouvoir d’achat des personnes qui ont encore un emploi est sévèrement réduit. C’est de plus en plus le cas dans le monde industriel où les salaires sont laminés, les contrats à durée indéterminée sont remplacés par des CDD, le travail à plein-temps remplacé par du temps partiel et les hommes sont remplacés par les femmes qui acceptent de travailler pour des salaires inférieurs. Rajoutons que les gens qui n’ont pas d’emploi, et qui n’ont plus accès aux prestations sociales, ou qui reçoivent des salaires de misère, ne peuvent pas acheter beaucoup de biens et de services, tandis que les ordinateurs – par lesquels beaucoup seront remplacés, n’en achètent pas du tout.
Alors, avec la chute de la consommation, l’économie formelle créera toujours moins d’emplois, ce qui contribuera à réduire la consommation et au final réduira encore le nombre de postes de travail disponibles. Nous allons donc être pris dans une véritable réaction en chaîne qui se poursuivra jusqu’à ce que l’économie formelle cesse d’être une source significative d’emploi, de nourriture et de services pour la majorité de l’humanité. En d’autres termes, en marginalisant autant de monde l’économie formelle se marginalisera elle-même.