L'Europe est entrée dans une phase de vieillissement plus tôt que dans le reste du monde. Dans l'Union européenne à quinze États membres, avant donc son élargissement en 2004, le nombre des personnes âgées était déjà de 50% plus important que celui des jeunes, et certains pays, comme l'Allemagne et l'Italie, étaient proches de la proportion de deux "seniors" pour un jeune. L'Europe des Quinze n'avait alors pas plus de naissances que les États-Unis avec leurs 295 millions de citoyens !
Ce vieillissement a entraîné l'accélération du déclin démographique. En valeur relative d'abord : si les Européens formaient à eux seuls le quart de la population mondiale en 1900, ils n'en représentent désormais plus que le dixième. En valeur absolue ensuite : l'Europe est la seule région du monde dont la population va diminuer durant le premier tiers de siècle. L'évolution de deux grands peuples européens qui se sont massacrés mutuellement à Stalingrad illustre d'ailleurs ce déclin général : dans 25 ans, le peuple allemand aura fondu de 10 millions et le peuple russe (deux avortements pour une naissance) de 15 millions. Sur les 25 pays de l'Union élargie, 17 (dont ceux d'Europe centrale) connaissent des excédents de décès par rapport aux naissances. Parallèlement au recul de son substrat ethnique, l'Union européenne connaît depuis le dernier tiers du XXe siècle un établissement en masse de populations d'origine extra-européenne, les migrants venant compenser le dépeuplement européen.
C'est un fait constaté par l'OCDE : avant l'élargissement, l'Union européenne était devenue la première région mondiale d'immigration avec 1,5 million d'entrées légales annuelles, contre un peu plus d'un million pour le Canada et les États-Unis.
Deux aires géographiques sont cependant à distinguer aujourd'hui au sein de l'Union européenne : d'une part, la "nouvelle Europe", celle de l'élargissement, qui se dépeuple à grande vitesse et qui n'est encore que très peu concernée par les flux migratoires extra-européens ; d'autre part, l'Europe occidentale, qui colonisa autrefois l'Afrique et l'Asie, et qui, aujourd'hui, connaît un mouvement massif de "contre-colonisation". Celui-ci se traduit en chiffres : l'accroissement naturel annuel des citoyens de l'Union européenne(soustraction des décès des naissances) n'est, pour les 15 pays d'avant l'élargissement, que de +400000, tandis que le solde migratoire annuel est de l'ordre de +1,6 millions de personnes. Autrement dit, l'immigration (légale) est quatre fois plus importante que l'accroissement naturel des citoyens européens (lequel, rappelons-le comptabilise la natalité des immigrés arrivés les années précédentes). On peut en conclure que la population européenne est en passe d'être remplacée, sur un temps historique relativement court, par des populations non européennes.
L'IMMIGRATION CLANDESTINE
Ces calculs ne prennent pas en compte le phénomène de l'immigration clandestine, exclusivement extra-européenne, et qui ne cesse d'augmenter.Pour la seule France, on estime autour de 100 000 le nombre annuel de nouveaux clandestins. Moins d'un dixième (10 000) est refoulé, et une part conséquente de ces nouveaux entrants annuels aura toutes les chances d'être régularisée dans les cinq années suivantes. Entre 2002 et 2005, l'Europe a connu des vagues de régularisation massives : 220 000 personnes pour la France, 50 000 pour la Belgique, 720 000 pour la Grèce, 1,5 million pour l'Italie (dont 700 000 pour la seule année 2002), 580 000 en Espagne, 240 000 au Portugal, soit un total moyen annuel de plus de 1 100 000 clandestins supplémentaires pour seulement six pays de l'Union européenne. Quant à la Grèce, qui ne compte qu'une dizaine de millions d'habitants, elle a déjà refoulé, en moins de dix années, plus de 2 millions de clandestins, soit l'équivalent d'un cinquième de sa population.
La pression migratoire extra-européenne ne peut qu'augmenter. Le taux de départs annuels au Maroc est déjà de 15% des hommes valides, soit 7,5 fois la moyenne mondiale du taux d'émigration par pays (2%), dans un pays où le taux de chômage des jeunes de 15 à 30 ans atteint 60% (comme en Algérie et en Afrique noire). Un sondage de l'Afvic (Association des amis et familles des victimes de l'immigration clandestine) montrait que sur 600 Marocains de moins de 30 ans, 82% avaient pour seule ambition de s'installer en Europe. Au Mali ou au Bangladesh, l'immigration vers l'Europe constitue la principale source de revenus.
Le cas de la Méditerranée est à lui seul parlant. La rive nord (européenne) compte aujourd'hui environ 180 millions d'habitants, tandis que la rive sud (musulmane) en compte 240 millions. En 2030, la rive nord aura perdu 6 millions d'Européens (l'Italie et l'Espagne étant particulièrement affectées), tandis que la rive sud gagnera 100 millions d'extra-Européens. Or ce réservoir démographique qui fait face aux rivages méditerranéens de l'Europe est caractérisé notamment par le plus fort taux d'émigration du monde. Alors que la moyenne mondiale se situe à 2% de la population (qui émigrent chaque année), le taux de départ moyen en Méditerranée est de 5% de la population. Taux supérieur à la zone Caraïbes et à l'Asie. Traduisons cela en données quantitatives : depuis le début des années 1960, près de 20 millions de ressortissants des pays de la rive sud ont émigré (pas seulement vers l'Europe, mais aussi vers l'Amérique du Nord).
Cette poussée migratoire de l'Afrique et du Moyen-Orient doit être rapprochée des risques géopolitiques majeurs qui pèsent sur la région méditerranéenne : les révolutions arabes de 2010 ont déjà provoqué une forte pression migratoire de clandestins sur l'Italie et l'espace Schengen. Le premier risque est de voir les régimes de la rive sud évoluer vers l'islamisme. Le second tient aux conséquences de la révolution économique mondiale. Pour rester compétitives face à l'Asie et en particulier la Chine, les économies européennes risquent de connaître un glissement vers l'économie "parallèle", qui fournit déjà 10% du PNB de l'Espagne et 30% du PNB de l'Italie ou de la Grèce, et dont l'essor repose notamment sur l'immigration clandestine ou même légale.
Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations