Pas de nation sans naissances et donc sans familles. Pas de nation non plus sans un rapport particulier avec la mort. Pour Hedeigger, l'homme est d'abord un mortel et non un animal calculateur (animal "raisonnable" n'est qu'un embellissement rhétorique pour animal calculateur). L'animal ignore qu'il mourra un jour : il ne meurt pas, il périt ! Seul l'homme peut mourir y compris volontairement. Dans le Christianisme, le Dieu meurt : c'est en cela qu'il s'est vraiment fait homme !
L'armée est une institution sacrée car elle gère la mort. C'est pourquoi il y a des monuments aux morts pour raviver le souvenir de ceux qui sont morts pour la nation. Le soldat est d'abord celui qui donne sa vie, qui offre son sang à la nation. Il n'est rien de plus haut que d'offrir sa vie pour défendre ce que l'on aime.
Par la mort ou le risque de mort des soldats, l'armée sauve la nation. Par la naissance, la famille sauve la nation. C'est pour cela que ces deux institutions ont une dimension sacrée, et ne sont pas fondées sur de simples "contrats". Un contrat où l'un des deux contractants donne sa vie n'est pas équilibré puisque l'un des deux perd tout. Dans le Gestell, la famille est un simple contrat utilitaire, quasi commercial, et le soldat est un contractuel mercenaire. Le mercenaire peut être étranger, non le véritable soldat, comme on le voit malheureusement avec l'utilisation généralisée de mercenaires par l'armée américaine en Irak.
C'est tout le problème de "la guerre à l'américaine" : on cherche le maximum de rendement. Cela donne notamment le bombardement indistinct des civils et des militaires par l'aviation. Auschwitz et le Goulag furent des choses abominables mais ont aussi été instrumentalisées pour faire oublier Hiroshima et Dresde : des bombardements massifs de villes peuplées essentiellement de vieillards, de femmes et d'enfants, non de soldats. Les crimes sont les mêmes (assassinats de civils désarmés) mais l'idéologie des vainqueurs a voulu exempter les anglo-américains. De plus, dans le Gestell, tous les hommes sont interchangeables. La distinction soldat/civil est donc relativisée au même titre que la distinction national/étranger ! Après tout, dans l'esprit du Gestell, les civils comme matière première participent aussi à l'effort de guerre, dans les usines par exemple, et la gouvernance oligarchique peut donc décider de les tuer pour des raisons fonctionnelles !
Yvan Blot, L'oligarchie au pouvoir