La métropole est le terrain d'un incessant conflit de basse intensité, dont la prise de Bassora, de Mogadiscio ou de Naplouse marquent des points culminants. La ville, pour les militaires, fut longtemps un endroit à éviter, voire à assiéger ; la métropole, elle, est tout à fait compatible avec la guerre. Le conflit armé n'est qu'un moment de sa constante reconfiguration. Les batailles menées par les grandes puissances ressemblent à un travail policier toujours à refaire, dans les trous noirs de la métropole - "que ce soit au Burkina Faso, dans le Bronx du Sud, à Kamagasaki, au Chiapas ou à la Courneuve". Les "interventions" ne visent pas tant la victoire, ni même à ramener l'ordre et la paix, qu'à la poursuite d'une entreprise de sécurisation toujours-déjà à l’œuvre. La guerre n'est plus isolable dans le temps, mais se diffracte en une série de micro-opérations, militaires et policières, pour assurer la sécurité.
La police et l'armée s'adaptent en parallèle et pas à pas. Un criminologue demande aux CRS de s'organiser en petites unités mobiles et professionnalisées. L'institution militaire, berceau des méthodes disciplinaires, remet en cause son organisation hiérarchique. Un officier de l'OTAN applique, pour son bataillon de grenadiers, une "méthode participative qui implique chacun dans l'analyse, la préparation, l'exécution et l'évaluation d'une action. Le plan est discuté et rediscuté pendant des jours, au fil de l'entraînement et selon les derniers renseignements reçus [...] Rien de tel qu'un plan élaboré en commun pour augmenter l'adhésion comme la motivation".
Les forces armées ne s'adaptent pas seulement à la métropole, elles la façonnent. Ainsi les soldats israéliens, depuis la bataille de Naplouse, se font-ils architectes d'intérieur. Contraints par la guérilla palestinienne à délaisser les rues, trop périlleuses, ils apprennent à avancer verticalement et horizontalement au sein des constructions, défonçant murs et plafonds pour s'y mouvoir. Un officier des forces de défense israéliennes, diplômé de philosophie, explique : "L'ennemi interprète l'espace d'une manière classique, traditionnelle et je me refuse à suivre son interprétation et à tomber dans ses pièges. [...] Je veux le surprendre ! Voilà l'essence de la guerre. Je dois gagner [...] Voilà : j'ai choisi la méthodologie qui me fait traverser les murs... Comme un ver qui avance en mangeant ce qu'il trouve sur son chemin." L'urbain est plus que le théâtre de l'affrontement, il en est le moyen. Cela n'est pas sans rappeler les conseils de Blanqui, cette fois pour le parti de l'insurrection, qui recommandait aux futurs insurgés de Paris d'investir les maisons des rues barricadées pour protéger leurs positions, d'en percer les murs pour les faire communiquer, d'abattre les escaliers du rez-de-chaussée et de trouer les plafonds pour se défendre d'éventuels assaillants, d'arracher les portes pour en barricader les fenêtres et de faire de chaque étage un poste de tir.
comité invisible, L'insurrection qui vient