La CNIL fut créée en janvier 1978 par des bureaucrates, et dissoute en décembre en décembre 2007 par une partie du peuple [dans les faits, la CNIL est toujours existante].
Sa création coïncide avec le scandale provoqué par le premier grand projet de fichage informatique par l’État, le projet Safari, en 1974. Il devint clair à ce moment-là que l'informatique donnait à l’État des moyens de contrôle sans commune mesure avec ceux du passé, l'interconnexion des fichiers facilitant l'organisation de rafles et de persécutions diverses. La CNIL servit donc d'emblée à endormir les citoyens : vous aurez le fichage informatique, mais vous pourrez connaître et rectifier ces données grâce à la CNIL. Ce qui s'est rapidement révélé aussi absurde qu'impraticable. En tant qu'émanation de l’État, il allait de soi que la CNIL ne s'opposerait pas au développement croissant des pouvoirs de l’État grâce à l'informatique. Il allait aussi de soi qu'elle ne voudrait pas brider le formidable développement industriel offert par la gadgetterie électronique, vecteur d'une croissance illimitée.
Les dix-sept commissaires de la CNIL, tous grands commis d’État, se sont presque toujours distingués par leur complaisance à l'égard des diktats du marché et des gouvernements. Plus encore, certains ont joué un rôle remarquable dans la mise en place de la surveillance automatisée et des gadgets numériques.
Philippe Lemoine, en cumulant illégalement les fonctions de commissaire à la CNIL et de PDG de Laser et de Cofinoga, est en bonne position pour arbitrer équitablement le brûlant conflit d'intérêts qui oppose les industriels aux défenseurs des libertés. Dès 2005, à Caen, la société Laser, qu'il dirige, teste le paiement automatisé par le téléphone portable. Fin 2006, Laser met en place aux Galeries Lafayette le paiement à distance grâce à la technologie RFID des puces sans contact.
Alex Türk, président de la CNIL à partir de 2004 et sénateur de droite, se décrédibilise très tôt en rendant la CNIL juridiquement impuissante face aux fichiers concernant la sûreté de d’État (Défense, sécurité publique) - ce pour quoi elle avait été initialement créée. Il est en effet rapporteur au Sénat de la refonte de la loi informatique et libertés de 2004, qui ôte à la CNIL ses pouvoirs contraignants et légalise tous les fichiers de police jusque-là hors la loi.
En 1995 (loi Pasqua), la CNIL avalise la généralisation de la vidéosurveillance. Le 9 juillet 2007 (AFP), Alex Türk rappelle publiquement : " La CNIL n'est pas contre la mise en place de réseaux de vidéosurveillance par principe. " En 2005, la CNIL déclare que " les Français devront accepter un affaiblissement des libertés individuelles afin de renforcer la sécurité collective " et approuve de nouvelles mesures sécuritaires au nom de la lutte anti-terroriste.
Il est donc peu suprenant que la période d'exercice de la CNIL ait coïncidé avec un développement accéléré du gouvernement numérique, comme l'illustre cet inventaire de procédures officiellement déclarées compatibles avec la liberté par la CNIL :
- Le passe Navigo et ses nombreux avatars (décembre 2004)
- Les spams " dans le cadre professionnel " (mars 2005)
- Microsoft et Vivendi autorisés à utiliser des logiciels espions pour dénoncer les internautes usagers du peer-to-peer (avril 2005)
- La carte de fidélité biométrique (avril 2005) - les assureurs médicaux autorisés à constituer des fichiers de prescription de leurs assurés (AXA en 2004, Groupama et SwissLife en 2005)
- La biométrie dans les cantines scolaires (janvier 2006)
- Les entreprises de location de voitures autorisés à ficher les conducteurs auteurs d'infractions (juillet 2006)
- Le passeport biométrique
- La biométrie faciale - reconnaissance automatique des visages par les caméra - autorisée " à des fins de recherche " (février 2007)
- Le dossier médical personnalisé, c'est-à-dire informatisé (mai 007) - les compagnies d'assurances autorisées à mettre des mouchards électroniques dans les véhicules de leurs assurés (septembre 2007)
Jusqu'à la dissolution officielle de la CNIL en décembre 2007, rares ont été les habitants du territoire français à réaliser que l'on se moquait d'eux. Bien qu'on ait pu parfois entendre, au détour d'un bistrot de quartier, proférées avec lassitude, ces quelques sages paroles : "La CNIL ? Pfff... c'est du pipeau. "
D'une certaine manière, c'était plus grave que ça. La CNIL fut positivement impliquée dans la mise en place de la société numérique, qu'elle avait pour tâche de rendre à la fois potentiellement menaçante et objectivement acceptable. C'est pourquoi la CNIL releva moins de la simple fumisterie que d'une excellente agence de développement du monde numérique.
En somme, le travail de l'institution se résuma à trois choses :
1. Mettre en place de façon provisoire, là où de nouvelles formes de surveillance numérique étaient créées, des contrepoids aussi futiles qu'elle-même.
2. Piloter en amont des projets industriels indéfendables de façon à les rendre compatibles avec le niveau de servitude médiatiquement annoncé comme acceptable.
3. Enfermer la question de la liberté dans une expertise incompréhensible de façon à désarmer toute opposition aux technologies informatiques.
Groupe Oblomov, Un futur sans avenir