Tous grades confondus, ils redoutent que les réformes esquissées ne fassent le jeu des voyous et ne démobilisent les forces de l'ordre.
Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, peut bien prendre en privé quelque distance avec les projets de sa collègue de la Justice, les policiers et les gendarmes jugeront leur ministre à l'aune de ce qu'il aura pu leur épargner.
Les réformes discutées dans le cadre de la Conférence de consensus de Mme Taubira«auront un impact direct sur l'activité de police», prévient Nicolas Comte, secrétaire général adjoint du syndicat Unité-SGP-FO (majoritaire chez les gradés et gardiens). «Quand on entend parler de dépénalisation, on a tendance à être heurtés, estime-t-il. Car ce n'est pas en dépénalisant qu'on fait disparaître les délits.» Et le syndicaliste de poursuivre: «La prison ne règle sans doute pas tout, et mieux vaut une peine alternative effective qu'une peine de prison non effectuée. Mais ce à quoi nous croyons le plus, c'est à la rapidité de la réponse pénale, pour que la sanction prononcée ait un sens.» Or, «que nous prépare la Chancellerie?, interroge ce policier. Elle veut faire un sort à la comparution immédiate, un outil précieux et qui le restera aussi longtemps qu'il ne virera pas à la justice d'abattage.»
Nombre de policiers contactés par Le Figaro dénoncent «l'idéologie» de la garde des Sceaux. Patrice Ribeiro, le patron de Synergie-officiers, ironise sur son «catéchisme soixante-huitard, où l'on présente le voyou comme une victime de la société, sans un mot de compassion pour la victime du délit».
«À l'heure où les cambriolages et les vols à la tire explosent, cette politique est surréaliste et ne pourra conduire qu'à une explosion encore plus forte de la délinquance ainsi qu'à une démobilisation des forces de l'ordre, spécule-t-il. Comme au sortir des lois Guigou en 2001, quand les crimes et délits ont passé la barre historique de 4 millions de faits.»
«Pas assez d'établissements pénitentiaires»
Selon lui, «Mme Taubira jette l'opprobre sur le système carcéral, qui va mal précisément parce qu'il n'y a pas assez d'établissements pénitentiaires». Le rapport Ciotti avait pourtant révélé que la France peut construire sans complexe de nouvelles prisons. Elle affiche, à ce jour, l'un des taux d'incarcération les plus faibles d'Europe (103 détenus pour 100.000 habitants), soit moins qu'au Royaume-Uni, en Espagne ou aux Pays-Bas.
«La garde des Sceaux, tranche-t-il, est dans le déni du réel. Mais avant de rattraper les politiques, la réalité va surtout rattraper les victimes. C'est un fiasco sécuritaire qui s'annonce.»
Au Syndicat des commissaires de la police nationale, au-delà des nuances, le propos est aussi assez sévère. «Ce qui dissuade la récidive, c'est la certitude d'être pris, jugé et que la peine soit appliquée», rappelle sa secrétaire générale adjointe, Céline Berthon. Et la commissaire d'enfoncer le clou: «Oui, il faut améliorer le fonctionnement de la chaîne pénale. Mais il ne faut pas perdre de vue que c'est la récidive qui alimente la prison et non l'inverse.»
Très prosaïquement, la police sait aussi que lorsque les voyous patentés sont au frais, ils ne sont pas dehors pour se livrer à de nouveaux méfaits. Ce qui préserve, au moins pour un temps, la vie des quartiers. La prison ne soigne pas tout, mais elle a quand même quelques vertus très concrètes.
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