Il est évident que la carrière de polémiste est infiniment moins capitonnée que celle de poète élégiaque ou de romancier mondain. Le pamphlet conduit rarement à la fortune, encore moins aux honneurs. Son plus clair bénéfice est une longue suite de démêlés avec la Justice et l'opinion. De manière invariable, l'écrivain de combat doit subir les reniements, les coups de ceux-là qu'il croit défendre, et qu'en fait il défend. Quels que soient sont temps, son parti, qu'il s'appelle Marat, Courier, Carrel, Veuillot, Vallès, Rochefort, Drumont, Bloy, Tailhade, Zola, Cassagnac, Jouvenel, Daudet, Maurras, son sort est réglé, plus ou moins tragiquement.
D'où vient donc que toujours, en dépit de tout et de tous, il se trouvera des hommes qui, dédaigneux des facilités de la vie, se consacreront en connaissance de cause à la plus redoutable des tâches humaines, qui est de jeter l'alarme aux jours de grand péril, et, s'il le faut, de crier malheur sur les contemporains ?
C'est que le monde littéraire n'est pas entièrement composé de littérateurs. Il se trouve des hommes qui ne se réfugient pas dans leur oeuvre... Ces hommes se battent. Ils se battent parce que s'ils ne se battaient pas, nul ne se battrait à leur place. Et pourquoi se battent-ils ? Par devoir critique, assurément, mais encore et surtout pour l'honneur de leur profession. Seuls et désarmés, ils vont au coeur de la bataille parce qu'ils obéissent à leur mission. Ils se mentiraient à eux-mêmes, s'ils renonçaient au combat.
Henri Béraud