Vouloir séparer les idées de nation et de démocratie est un leurre. Jusqu'à présent, les organisations internationales se sont révélées comme des oligarchies, souvent très bureaucratiques, et non comme des démocraties. C'est pourquoi un peuple très démocratique comme la Suisse a toujours montré une certaine méfiance envers ces organisations et a tenu à ne pas abandonner sa souveraineté nationale.
La nation est le socle sur lequel l'homme, je dis bien l'homme, pas l'animal, vient habiter. L'animal ne connaît pas la nation alors qu'il connaît la famille, voire certaines formes de propriété. L'absence de conscience nationale chez les humains est de ce point de vue une régression historique, voire anthropologique. L'animal calculateur qu'est l'homme du Gestell (pompeusement appelé rationnel) ignore aussi la nation car il n'est en effet qu'une matière première pour la production (calcul) et pour la consommation (satisfaction des instincts). Il n'a pas le sens de l'histoire et vit surtout dans l'instant. Ce n'est pas étonnant puisque le Gestell déshumanise l'homme en lui retirant ce qui fait son humanité la plus spécifique pour le cantonner dans les deux domaines du calcul rationnel et de l'animalité.
Qu'est-ce que la Nation ? Le mot est dérivé du latin mais le concept politique vient de la "polis" grecque, la cité d'où le mot de citoyen. Selon Michel Haar, "la polis est la place essentielle de l'homme grec, l'espace où il vient à lui-même, à son histoire (...) c'est à l'intérieur de la polis que l'art, la techné, de même que la relation aux dieux, dans les œuvres, le culte, les liturgies théâtrales et les sacrifices prennent sens et trouvent place."
Aristote a pu dire que l'homme est "zoon politikon" ce qui ne veut pas dire que l'homme fait de la politique mais qu'il est un vivant habitant une cité-nation. C'est superficiel de dire de la polis qu'elle est une cité état. Son essence est, comme le montre Thucydide dans la Guerre du Péloponnèse dans les hommes et dans les dieux. Son essence n'est pas dans le sol ni dans les lois qui définissent l’État. Quand Athènes change de régime politique et donc de lois, et ce fut fréquent, elle reste Athènes. Lors de la guerre contre les Perses, Thémistocle demande au peuple d'abandonner les maisons et d'embarquer sur les bateaux. Les grecs vont laisser les Perses occuper la ville mais ce n'est pas mortel pour la nation athénienne. Car Athènes est là où il y a des Athéniens. Athènes, ce sont d'abord des hommes, et non des maisons.
A présent, c'est l'inverse. La France serait là où il y a le sol et les lois ; on se désintéresse des hommes et de la divinité. Avec de telles idées, la France pourrait être peuplée d'étrangers et se convertir toute entière à l'islamisme, par exemple. On prétendrait que c'est toujours la France.
C'est absurde : c'est comme si l'on prétendait que la Turquie est la continuité de l'Empire byzantin et de sa civilisation chrétienne sous prétexte qu'il s'agit du même lieu géographique !
Voilà où mène le matérialisme du Gestell : avec un sol et des lois, on peut toujours obtenir des résultats économiques. Par contre, les dieux sont inutiles et les hommes doivent être interchangeables. On peut dire que l'article de notre Constitution qui dit que la souveraineté est dans la nation est caduc. La souveraineté a été transférée à des normes fixées par l'oligarchie sur le sol français. Le peuple ne la maîtrise plus vraiment.
Notre nation est un produit de l'histoire, de notre histoire issue des Gaulois qui ont assimilé la civilisation gréco-romaine. Les Francs se sont surajoutés en adoptant la civilisation romaine tardive avec sa religion chrétienne. C'est pourquoi il n'y a pas eu de rupture comme celle entre Byzance et la Turquie. La conception légaliste de la nation est tout aussi erronée que la conception purement géographique. Dire que la nation date des institutions de la révolution et n'existait pas sous Jeanne d'Arc est une aberration que j'ai entendue chez certains de nos députés.
Yvan Blot, L'oligarchie au pouvoir