La franc-maçonnerie est-elle une composante, une source ou une conséquence du mouvement des Lumières ?
Chronologiquement, elle précède les Lumières, car ses origines immédiates sont à rechercher dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. En revanche, elle s'insère parfaitement dans cette vaste refondation intellectuelle que l'on nomme, depuis Paul Hazard, "la crise de la conscience européenne (1680-1715)". Ce bouleversement toucha tous les domaines de la pensée - science, religion, philosophie, littérature, arts - et ses conséquences sociales et politiques furent immenses. En fait, il ouvrit la porte aux Lumières.
Mais le XVIIIe siècle où s'épanouissent les Lumières, est aussi "le siècle d'or" de la franc-maçonnerie. En France notamment, par son idéal, mis en pratique dans les loges, (...), la franc-maçonnerie fait vivre une sociabilité qui porte toutes les marques des Lumières. Mieux encore, on a pu montrer récemment que dans le nord de la France et surtout dans les Pays-Bas autrichiens - qui correspondaient à l'actuelle Belgique - des loges furent alors très influencées par les "Lumières radicales", un courant de pensée qui, dans la mouvance de Baruch Spinoza (1632-1677), soutenait des positions considérées comme extrêmes dans le domaine philosophique, politique ou religieux.
Il ne faut cependant rien schématiser, car la franc-maçonnerie n'était ni une Eglise ni un parti (du moins jusqu'en 1871 en France). Si quelques grandes figures des Lumières paraîtront dans les loges - Montesquieu, Condorcet, l'abbé Grégoire -, d'autres comme Diderot et Rousseau, ne les rejoindront pas. Voltaire se moqua abondamment des francs-maçons avant d'être initié, quelques semaines avant sa mort, sans qu'on ait jamais su s'il l'avait vraiment voulu - ce qui est peu probable - ou s'il s'était laissé faire. En revanche, la franc-maçonnerie comptera aussi dans ses rangs, parmi ses membres actifs, des hommes hostiles aux Lumières comme Joseph de Maistre. Il faut s'y résoudre : dès le XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie était un monde résolument complexe.
Les 100 mots de la franc-maçonnerie, Alain Bauer, Roger Dachez