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Manipulations islamo-américaines au Nord-Caucase

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Depuis le XVIIIe siècle, la Tchétchénie n'a jamais cessé de poser des problèmes au pouvoir central russe. Entre 1785 et 1791, notamment, le cheikh Mansour a soulevé des bandes tchétchènes contre la colonisation russe et, en 1859, c'est l'imam Chamil qui est maté par les forces tsaristes, dans une province dévastée qui compte moins de 100 000 habitants. La découverte du pétrole facilite cependant l'intégration des régions musulmanes du Caucase oriental dans l'Empire, mais l'espoir de l'indépendance tchétchène renaît de nouveau avec la révolution bolchévique qui soutient, à ses débuts du moins, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
     Dès 1920, l'empire russe est réaffirmé. En 1936, Staline crée la République autonome de Tchétchénie-Ingouchie, mais lorsqu'éclate la Seconde Guerre mondiale les sympathies pro-allemandes de nombre de populations turco-musulmanes d'Eurasie conduisent à la déportation massive des Tchétchènes (près de 500 000 d'entre eux sont transférés vers la Sibérie et l'Asie centrale au début de l'année 1944, et un tiers des déportés ne survivra pas aux cruelles conditions de cet exode).
     Réhabilité à partir de 1956, le peuple tchétchène bénéficie ensuite de la situation géographique de la République de Tchétchénie-Ingouchie, qui est traversée par l'oléoduc nord-caucasien. Cependant, chaque fois que le Russe traverse des difficultés, le Tchétchène relève la tête : en 1991, la fin du système soviétique ouvre une ère d'instabilité dans la petite république caucasienne. Le Tchétchène Djokhar Doudaiev, général de l'Armée rouge, proclame unilatéralement l'indépendance, mais la Russie, qui peut compter sur une opposition tchétchène à Doudaiev, refuse cette sécession. Moscou n'intervient toutefois pas et, durant trois ans, laisse proliférer les logiques mafieuses caucasiennes et russes. 

LE FONDAMENTALISME DANS LE CAUCASE
Le 11 décembre 1994, consciente du risque d'extension des séparatismes à plusieurs provinces de la Fédération de Russie, la Russie décide de lancer ses forces à l'assaut de la rébellion tchétchène. C'est le début de la première guerre de Tchétchénie. Au mois de janvier 1995, au prix de pertes terribles dans l'armée russe et parmi les populations civiles, les Russes reprennent le palais présidentiel et contrôlent une ville en ruines. Comme les Afghans dans les années 1980, les Tchétchènes vont alors bénéficier d'un double appui en sous-main : celui des États-Unis et celui du fondamentalisme islamique (arabe et pakistanais), dont l'intrusion dans cet islam caucasien imprégné de traditions soufies va être lourde de conséquences. Après Doudaiev  (qui est tué en avril 1996), le nouveau président Jandarbiev entend imposer la charia, marquant ainsi la radicalisation de l'islamo-nationalisme tchétchène.
     En août 1996, le général Alexandre Lebed obtient d'Aslan Maskhadov (un ancien colonel soviétique) la suspension des combats et un accord prévoyant un retrait des troupes russes, avec une période transitoire de cinq ans, à l'issue de laquelle un référendum d'autodétermination décidera de l'avenir de la république.
     Fort de ce succès, Maskhadov est élu président en janvier 1997. Mais les islamistes(Chamil Bassaiev, ainsi que le Jordanien Emir Khattab) ne veulent pas la paix : ils considèrent en effet que la Tchétchénie et le Daghestan sont un nouvel Afghanistan ou une nouvelle Bosnie, où se livre une guerre de civilisation entre l'islam et le christianisme orthodoxe. C'est en vain que Maskhadov tente de neutraliser Bassaiev en le nommant Premier ministre (janvier-juillet 1998). Pendant ce temps, Khattab renforce les réseaux d'Al-Qaida en Tchétchénie. 
     Au début du mois de septembre 1999, les islamistes lancent sur Moscou une vague d'attentats qui fait plus de 300 morts. Le président Poutine n'a pas d'autre choix que de relancer des opérations militaires en Tchétchénie pour y réduire les groupes islamistes.Ces derniers opèrent en particulier depuis les gorges du Pankissi, en Géorgie voisine, où ils bénéficient de l'indifférence du gouvernement géorgien, hostile à la Russie.
     Les attentats du 11 septembre 2001 auront une conséquence importante. Le 24 septembre 2001, Vladimir Poutine déclare à la télévision : "Les événements en Tchétchénie ne peuvent être considérés en dehors du contexte de la lutte contre le terrorisme international." Les Russes vont donc considérer que la guerre qu'ils mènent depuis 1994 s'inscrit dans la guerre mondiale contre l'islamisme ; ils obtiendront des États-Unis, en contrepartie de leur appui, qu'ils cessent de soutenir la rébellion tchétchène. Bassaiev rejoint alors la liste américaine des terroristes internationaux, et des militaires américains sont envoyés en Géorgie en 2002 pour "nettoyer" la vallée frontalière du Pankissi. En perdant leur soutien extérieur, les séparatistes n'ont plus les moyens de lancer de grandes offensives. Le conflit connaît alors une "palestinisation" et l'emploi de kamikazes devient privilégié. Mais les islamistes tchétchènes sont éliminés les uns après les autres : Khattab en mars 2002, Aslan Maskhadov, surnommé le "loup de Tchétchénie", en mars 2005, Chamil Bassaiev en juillet 2006...
     Vladimir Poutine ne se contente cependant pas de ce "nettoyage" militaire.Son intelligence politique le pousse à remettre en place un gouvernement tchétchène légitime aux yeux de la population. Fils d'Akhmad Kadyrov, qui fut grand mufti et président de la Tchétchénie, assassiné en mai 2004, Ramzan Kadyrov dirige le pays depuis avril 2007, fort de 25 000 hommes prêts à réduire toute nouvelle velléité séparatiste.

LES ÉTATS-UNIS EN TCHÉTCHÉNIE
En juin 1999, deux mois avant l'éclatement de la deuxième guerre de Tchétchénie, une poignée d'officiers de l'US Marine Corps se rend clandestinement dans la petite république caucasienne. Le but officiel de la visite  est de tirer les leçons de la guerre tchétchène en milieu urbain (et de répondre à la question : "Comment les Russes ont-ils pu être mis en échec si longtemps à Grozny?").
     Les militaires américains écoutent Aslan Maskhadov, son aide de camp Hussein Iskhanov, le chef du renseignement Saïd Iskhanov, le chef de la logistique Paizoullah Noutsoulkhanov. Quelques mois plus tard, en février 2000, un ancien conseiller spécial du général Doudaiev, le général Tourpal Ali-Kaimov, se rend aux États-Unis pour des discussions avec des officiers supérieurs américains. Certes, l'étude sur la guerre en milieu urbain n'est pas seulement une façade. Une équipe de l'université de Stanford, associée au groupe de l''US Marine Corps, tente effectivement de comprendre pour quelles raisons les Russes, d'habitude si performante en guerre urbaine (Stalingrad, Berlin, Budapest, Kaboul), ont pu rencontrer autant de difficultés à Grozny. Mais les chefs tchétchènes n'ont évidemment pas livré leurs secrets sans une contrepartie américaine. Ils sont en contact avec des agents de l'ISI (le renseignement pakistanais) depuis 1994, et, par leur intermédiaire, avec la CIA. Et ce n'est sans doute pas une coïncidence si la deuxième guerre tchétchéno-russe éclate seulement deux mois après les contacts de 1999 entre militaires américains et chefs tchétchènes.

Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations

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