Immigration. Thilo Sarrazin part en guerre contre tout ce qui n'est pas allemand.
Le succès de " L'Allemagne court à sa perte " est foudroyant. La DVA, respectable maison d'édition munichoise, en avait imprimé 25000exemplaires tout en redoutant qu'une bonne partie de ce réquisitoire indigeste lui reste sur les bras. A la surprise générale, ils ont disparu en quelques jours. Il a fallu en catastrophe faire un nouveau tirage, puis un autre... DVA en est aujourd'hui à sa 16eédition. Le pape lui-même s'est fait envoyer un exemplaire...
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Itzehoe, 25000habitants, à une heure de train de Hambourg, n'a jamais connu un tel branle-bas de combat. Deux cents policiers assistés de chiens en muselière montent la garde devant le théâtre municipal. Une cinquantaine de manifestants de gauche brandissent des banderoles dans la nuit." A bas les nazis ! "," Honte à vous ! " scandent-ils à l'intention des quelque 300personnes qui font la queue sous un crachin glacial devant les portes du théâtre.
Peu avant 20heures, un petit homme, raide comme un soldat de plomb prussien dans sa veste de tweed, se faufile par une porte latérale, escorté de ses trois gardes du corps." Bravo, Thilo ! " crient les quelques fans qui ont reconnu Thilo Sarrazin, 65ans, auteur de " L'Allemagne court à sa perte ", 1,2 million d'exemplaires vendus depuis la fin du mois d'août. L'un des plus gros succès de librairie en Allemagne depuis la guerre.
Le best-seller, qui accuse les immigrés musulmans de renoncer à s'intégrer, de se complaire dans l'assistanat et de menacer ce qu'il appelle " la population autochtone " allemande, a déclenché une interminable polémique. Devant le théâtre d'Itzehoe, les forces de l'ordre serrent les rangs. Une vingtaine de militants du NPD, le parti d'extrême droite, sont venus applaudir leur nouveau héros. On redoute des escarmouches avec les manifestants de gauche. La veille, à Oldenbourg, des jeunes ont tenté d'asperger Thilo Sarrazin de peinture. Parfois ce sont des oeufs pourris et, toujours, des injures.
C'est la section locale du FDP, le parti libéral, qui l'a invité à venir présenter son livre dans ce fin fond du nord de l'Allemagne." On s'est très vite rendu compte, explique son président, ravi d'une telle affluence,qu'une salle normale ne suffirait pas à loger tout ce monde. " En dépit des protestations de ceux qui estimaient qu'on ne pouvait autoriser ce genre de " harangues populistes " dans un édifice municipal, le FDP a loué le théâtre de la ville. Ce soir, il fait salle comble." Il a le droit de donner son avis quand même, s'insurge une prof d'allemand à la retraite venue ce soir avec quelques amis.Où donc est la liberté d'expression dans ce pays ? " Un jeune à casquette de base-ball a épinglé un badge " Danke Thilo ! " sur le revers de son blouson : " Je suis venu pour remercier celui qui a osé dire tout haut ce que tant d'Allemands pensent tout bas. "
Bardé de certitudes. Le visage éclairé par un projecteur, Thilo Sarrazin est assis seul à une table sur la scène. Il a les cheveux blancs, une petite moustache drue et un étrange rictus provoqué par la section d'un nerf facial lors de l'opération d'une tumeur à l'oreille droite. Rien chez lui ne trahit le tribun ou le leader charismatique. Et c'est sur un ton monocorde qu'il assène son cours magistral, en économiste austère et bardé de certitudes. Une cascade de chiffres et de statistiques au service de sa croisade : les immigrés vivent au crochet de la société, les femmes musulmanes font trop d'enfants, qui ne trouveront jamais leur place en Allemagne et tomberont dans la criminalité ou l'islamisme.
Le problème, c'est que ces théories sulfureuses ne sont pas énoncées par un obscur agitateur xénophobe, mais par une personnalité honorable de l'establishment politique, sociale-démocrate de surcroît. Thilo Sarrazin fut tour à tour haut fonctionnaire, sénateur chargé des finances au sein du gouvernement régional de Berlin et un des principaux responsables de la Bundesbank, à Francfort. C'est à lui qu'incomba, pendant sept ans, la tâche titanesque d'assainir les finances de la capitale au bord de la faillite.
C'est durant ces années berlinoises que Sarrazin s'est forgé une solide réputation de provocateur. Les factures de chauffage des bénéficiaires de l'aide sociale sont trop élevées ? Il recommande le port du pull-over dans les appartements ! 3,76euros par jour ne suffisent pas pour se nourrir sainement ? Foutaises, réplique ce père Fouettard qui propose dans la foulée quelques recettes équilibrées et bon marché à ceux qui larmoient ! Les jeunes n'apprennent rien à l'école ? Il faut diminuer les salaires des profs incapables !
Quand Sarrazin est nommé au directoire de la Bundesbank à Francfort, le soulagement est visible à Berlin. Mais le répit fut de courte durée, comme " L'Allemagne court à sa perte " l'a prouvé.
Outrée, la presse allemande condamne " Thilo le barbouilleur "(Tageszeitung) ce " darwiniste vulgarisé "(Die Zeit) et " ses thèses monstrueuses sur la bêtise héréditaire des musulmans "(Stern). L'Organisation des musulmans d'Allemagne s'insurge contre ce " nazi en costume trois-pièces ". Angela Merkel elle-même sort de sa réserve pour déclarer avec mépris que ce livre n'est " pas utile " et qu'elle ne prendra pas la peine de le lire.
Même le Parti social-démocrate (SPD), dont Thilo Sarrazin est membre depuis 1973, prend ses distances. Son chef, Sigmar Gabriel, condamne un " incroyable déraillement moral " et lance une procédure d'exclusion. Et quand l'imprécateur affirme, au détour d'une phrase, que " tous les juifs partagent un gène particulier ", c'en est vraiment trop. Le directoire de la Bundesbank le met à la porte. Le président de la République en personne, Christian Wulff, est intervenu pour recommander son exclusion.
Thilo Sarrazin peine visiblement à comprendre ce qu'on lui reproche, s'estimant condamné comme s'il avait écrit de la " pornographie politique ". " A moi tout seul j'aurais déclenché une affaire d'Etat ? Peu importe ce que l'on pense de son contenu, ce qui est sûr, c'est que mon livre a répondu à un profond besoin émotionnel ", réplique-t-il. Et d'accuser la classe politique, encore culpabilisée par le nazisme, de pratiquer la politique de l'autruche, incapable de regarder la réalité en face, et surtout totalement sourde aux inquiétudes de la majorité des Allemands.
Car, pendant que l'establishment politique et médiatique déclare Thilo Sarrazin persona non grata pour islamophobie et antisémitisme, la rue approuve massivement. Les sondages montrent que plus de la moitié des Allemands pensent comme lui, et que, pour eux, une grande partie des immigrants arabes et turcs ne veulent et ne peuvent pas s'intégrer dans leur pays d'adoption - le triomphe de l'amalgame entre islam et fanatisme. Plus inquiétantencore : 14à 18 % des Allemands se déclarent prêts à voter pour un parti dont Sarrazin prendrait la tête.
Le succès de " L'Allemagne court à sa perte " est foudroyant. La DVA, respectable maison d'édition munichoise, en avait imprimé 25000exemplaires tout en redoutant qu'une bonne partie de ce réquisitoire indigeste lui reste sur les bras. A la surprise générale, ils ont disparu en quelques jours. Il a fallu en catastrophe faire un nouveau tirage, puis un autre... DVA en est aujourd'hui à sa 16eédition. Le pape lui-même s'est fait envoyer un exemplaire...
Multimillionnaire. L'auteur est inondé de mails et de courriers louangeurs. En quelques mois, il est devenu multimillionnaire. Une cagnotte évaluée à 3millions d'euros." Que vas-tu faire de cet argent ? " lui demande son épouse, une institutrice qui a fait l'expérience des problèmes liés à l'immigration dans les écoles berlinoises." On va commencer par le placer sur notre compte et on avisera plus tard ", répond son mari.
A Itzehoe aussi, on veut savoir si Sarrazin fera don d'une partie de cet argent à des projets favorisant l'intégration des immigrants." Je vais payer 50 % de cette somme en impôts. Au gouvernement de placer cet argent dans ses multiples projets ", lance-t-il, sarcastique. La salle éclate de rire.
Plus moyen de fermer les yeux sur un phénomène d'une telle ampleur.
Devenu phénomène de société, le sujet impose à tous de prendre position. Angela Merkel décrète " l'échec " du modèle multiculturel, une vache sacrée en Allemagne. L'ancien chancelier social-démocrate Helmut Schmidt, 92ans, affirme que, s'il ne partage pas les thèses de Sarrazin, il le rejoint pour critiquer le manque de volonté d'intégration de nombreux musulmans. L'Allemagne est divisée. Pour certains, Thilo Sarrazin est allé trop loin en brandissant des thèses racistes. Pour d'autres, c'est-à-dire la majorité, il brise enfin le tabou du politiquement correct et soulève une question inquiétante.
Ce fils d'un médecin de la Ruhr aux origines françaises huguenotes réveille les angoisses profondes des classes moyennes allemandes, comme ces notables bien mis qui sont venus l'écouter à Itzehoe. Une enquête commanditée par la Süddeutsche Zeitung montre que ses lecteurs sont en majorité des hommes éduqués ayant réussi leur vie professionnelle.
Sur la scène du théâtre d'Itzehoe, Adnan Vural, le président de la communauté turque locale, a été invité au titre de contradicteur. Itzehoe a sa mosquée, mais les musulmans n'ont pas été autorisés à surmonter leur lieu de culte d'unminaret." Bonne décision ! " s'exclame une femme indignée. Visiblement intimidé, Vural s'embrouille. Il insiste sur la profusion des églises chrétiennes à Istanbul, mais ne s'attire que des quolibets dans la salle. Le modérateur est obligé d'intervenir " pour qu'on permette à M. Vural de terminer son argumentation ". Dans son fauteuil, Thilo Sarrazin ne laisse pas transparaître la moindre émotion.
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