Gilles X., la quarantaine, est un entrepreneur tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Il emploie 280 personnes dans sa société dans un secteur de haute technologie. Et chaque année, comme beaucoup de chefs d'entreprise, il acquitte pas moins de onze taxes et impôts différents : la taxe d'apprentissage, la taxe transport, la PEEC (participation des employeurs à l'effort de construction), la taxe handicapés (Agefiph), la participation à la formation professionnelle continue, la CFE (contribution foncière des entreprises), la TVS (taxe sur les véhicules de société), la taxe à l'essieu (sur certains camions), la sécurité sociale des indépendants (RSI), la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) et, bien sûr, l'impôt sur les sociétés... Dieu sait s'il faut avoir l'esprit d'entreprise chevillé au corps pour tenir bon sous ce tir nourri !
La France aime peut-être ses entrepreneurs, mais elle a surtout une passion pour l'impôt. À telle enseigne que la fiscalité française a atteint, en 2013, un niveau inégalé dans l'histoire du pays ! Les prélèvements obligatoires représentent 46,3 % du PIB, en hausse de 65 milliards depuis 2011. Le précédent record - 44,9 % du PIB en 1999 - est loin derrière nous. Et chacun de nos gouvernants y a mis du sien : le gouvernement Fillon a fait voter, entre la fin 2010 et la fin 2011, des mesures entraînant une hausse totale des impôts de 31,2 milliards d'euros. Le gouvernement Ayrault y a ajouté, entre juillet et décembre 2012, 33 milliards d'euros supplémentaires. Record battu ! Et cela aurait pu être pire : Christian Eckert, le rapporteur du dernier budget, a tenté de charger la barque plus d'une fois à travers ses 571 amendements !
Le drame de la décentralisation
En 1960, le taux n'était que de 30,6 %. Sous la présidence de Giscard d'Estaing, entre 1974 et 1981, les taux connaissent une première montée en flèche en passant de 34,2 % à 40,4 % du PIB. Depuis 1996, le taux oscille autour de 43 et 44 %. Même si les comparaisons internationales sont toujours délicates, la France se situe très au-dessus des moyennes européennes. Cependant, l'évolution est à la hausse partout ! Au sein de l'Union européenne, le taux de prélèvements obligatoires est passé, en moyenne, de 27,9 % en 1965 à 38,9 % en 2009.
Dans la famille des impôts, la part de ceux dus à l'État a eu tendance à diminuer, alors que les cotisations sociales payées par les ménages et les entreprises ont grimpé sans discontinuer ainsi que les impôts locaux. La décentralisation a été une catastrophe pour le contribuable français. Nos régions, départements et communes ont cumulé deux vices : taxer toujours plus pour s'endetter toujours plus. Entre 1999 et 2010, la dette des collectivités locales a bondi de 40 % pour s'établir à 124,5 milliards d'euros, soit l'équivalent de 69 hôpitaux de la taille du Georges-Pompidou à Paris. Comment ne pas être épouvanté par cette fuite en avant ? Le gouvernement Ayrault prépare l'acte III de la décentralisation qui sera présenté fin mars. L'acte III d'une tragédie qui dure depuis 30 ans.
Le concours Lépine de la taxe
En matière d'impôts et de taxes, la créativité française ne s'est jamais démentie. En 1991, le gouvernement Rocard est passé à la postérité en inventant la CSG pour diversifier le financement de la protection sociale. À l'origine, son taux était de 1,1 %. Nous en sommes à 7,5 %. En 1996, Alain Juppé a, pour sa part, inventé un impôt extrêmement "rentable" : la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale). À l'origine conçue pour cinq ans, la CRDS s'est vu accorder une seconde vie jusqu'en 2017. On ne serait pas étonné qu'elle survive à cette date prétendument butoir...
Nicolas Sarkozy a, quant à lui, baissé les impôts via la loi Tepa - ce qui lui fut reproché -, mais il a créé un nombre incroyable de nouvelles taxes. On en recense au moins 23 sous son quinquennat... Un rapide inventaire à la Prévert laisse entrevoir l'activisme fiscal d'un État ruiné et désemparé : taxe sur les nuitées d'hôtel supérieures à 200 euros, taxe sur les entreprises privées du secteur ferroviaire, taxe pour financer le Grand Paris, taxe sur les bonus exceptionnels des traders, sur les boissons sucrées, mise à contribution des sociétés privées de sécurité, création d'un timbre fiscal de 35 euros pour toute action judiciaire et d'un autre de 4 euros pour toute immatriculation d'un véhicule neuf... Arrêtons là cette litanie morose.
À quand la grande réforme de l'impôt sur le revenu ?
Le secteur des télécoms, en plein boom depuis les années 2000, a été matraqué. Nicolas Sarkozy a cru pouvoir s'appuyer sur les rentes des telcos pour financer la restriction publicitaire de France Télévisions. "Ils se bourrent !" tonnait-il en début de mandat lors de ses discussions avec François Fillon. Bruxelles a cependant mis un sérieux coup de frein à l'enthousiasme fiscal de la France vis-à-vis des opérateurs de télécommunications. La "taxe telco" a été déférée devant la justice européenne. Le gouvernement Ayrault s'attend à une condamnation et a provisionné 1,3 milliard d'euros dans le budget 2013 pour rembourser les opérateurs...
Durant sa campagne, François Hollande avait répété que sa première mesure consisterait à mettre à plat cette fiscalité démentielle et amphigourique. Il avait dans l'idée de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG pour créer, disait-il, "un impôt plus progressif et prélevé à la source". Depuis son élection, il n'en est plus vraiment question... La réforme consiste pour l'instant à charger au maximum le paquet fiscal. En attendant de voir l'État et les collectivités locales se mettre à la diète.
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