Si les figures conquérantes sont multiples, la valorisation de la figure de l'entrepreneur et de l'action d'entreprendre en sont les emblèmes. L'entreprise est le nouveau réservoir des fictions françaises. Administrations, collectivités locales, associations, toutes n'y succombent pas, mais chacune y puise son paradigme de performance pour se moderniser, se démocratiser ou mieux servir l'usager. Plus encore, chaque individu doit, dans son travail, ses loisirs ou sa vie affective, conduire sa vie comme un vrai professionnel de sa propre performance. La professionnalisation de la vie sous les auspices de l'entreprise serait désormais la seule voie pour conquérir son autonomie, se repérer dans l'existence et définir son identité sociale. Nous sommes désormais sommés de devenir les entrepreneurs de nos propres vies.
Que signifie cette "entreprenarisation" de la vie dans une société où l'entreprise a plus été l'objet d'affrontements que de consensus ? Mon hypothèse est que cette dynamique est révélatrice à la fois d'une définition nouvelle de l'acteur de masse et d'une inflexion de la sensibilité égalitaire.
Alain Ehrenberg, Le culte de la performance