La guerre n'est pas un jeu vidéo. Elle exige de combattre l'ennemi au sol et de garder des capacités d'intervention rapide. Donc de ne pas massacrer le budget des armées.
La scène est surréaliste et bien éloignée des images de la guerre classique : dans une base du Nouveau-Mexique, des militaires américains, confortablement installés devant une batterie d'écrans, "traitent" à 10 000 kilomètres de distance des objectifs au Pakistan ou en Afghanistan. Les drones Predator équipés de missiles pulvérisent des "high value targets" (des cibles à haute valeur). En principe, des chefs talibans particulièrement dangereux et clairement identifiés, ou des groupes de combattants minutieusement repérés par des moyens ultrasophistiqués d'observation. Plusieurs centaines d'engins de ce type ont été tirés depuis une dizaine d'années, expédiant ad patres trois mille ou quatre mille ennemis et un nombre indéterminé de quidams innocents qui étaient au mauvais endroit au mauvais moment. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. Et ce n'est pas trop grave - pense-t-on au Pentagone - si les "œufs" appartiennent au camp d'en face.
Conséquence politique de ce mode opératoire : le président des États-Unis prend parfois une responsabilité directe dans la décision d'éliminer tel ou tel "terroriste". Les réunions se passent dans la Situation Room de la Maison-Blanche. Problème juridique délicat : il est arrivé que la cible soit un citoyen américain d'origine arabe passé à l'ennemi...
Autre lieu, autre scène : dans des éboulis volcaniques chauffés à blanc par un soleil dévorant, les légionnaires du 2e REP (régiment étranger de parachutistes) crapahutent dans des conditions très éprouvantes pour fouiller, cavité par cavité, l'Adrar de Tigharghar (nord du Mali). Ils bénéficient, eux aussi, de moyens d'observation modernes : satellites, avions-drones. Et, s'il le faut, d'appuis aériens. Mais, au final, il faut aller débusquer l'ennemi dans les trous où il s'est réfugié, l'extirper "à la fourchette à escargot" selon l'expression consacrée.
La France n'est pas les Pays-Bas
La guerre du Mali apporte quelques enseignements qui ne manqueront pas de peser sur les décisions militaires et stratégiques de ces prochaines années. Premier enseignement : le rêve d'une guerre sans risque pour soi-même et qui s'apparenterait à un jeu vidéo est une chimère. Les Israéliens en ont fait l'expérience à leur détriment lors de l'expédition au Liban durant l'été 2006. Le général Dan Haloutz, premier aviateur à accéder aux fonctions de chef d'état-major de Tsahal, avait exagérément misé sur les frappes aériennes pour neutraliser le Hezbollah. Avant de devoir se résoudre à déclencher une opération terrestre très mal préparée. Un demi-échec militaire et un désastre politique pour Israël : Haloutz sera contraint à la démission. En Afghanistan, l'usage systématique des drones et des bombardements aériens a largement contribué à dresser la population contre les Américains.
Deuxième enseignement : il faut se garder, en ces temps de restriction budgétaire, de pratiquer des coupes claires dans les moyens et les effectifs de la Défense, et en particulier de l'armée de terre. Si la France veut conserver une capacité opérationnelle et ne pas être reléguée au rang des Pays-Bas ou du Danemark, il faut conserver un outil crédible. Troisième enseignement : il est indispensable de garder des bases militaires sur le continent africain. Pour des raisons militaires mais aussi politiques : elles contribuent à stabiliser un continent menacé par le séisme islamique et les démons de l'anarchie.
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