Le mot "natalité" n'a pas de coloration politique. Mais le vocable "natalisme" (attitude favorable à la natalité) en a une qui, en France, est infamante et se réfère implicitement à la "droite pétainiste" ou au "catholicisme intégriste". Il a donc une connotation très péjorative. Il est associé à l'image historique de dictatures de droite et d'extrême droite (Mussolini, Hitler, Franco). C'est là, pourtant, une vision partielle et tronquée du passé. Certes, le fascisme italien, par exemple, a mené, dès 1927, une "bataille des naissances", et le nazisme hitlérien est allé plus loin en y mêlant non seulement des considérations impériales, mais aussi des mesures eugéniques, et surtout racistes. Doit-on masquer pour autant que les dictatures communistes ont utilisé les mêmes discours et les mêmes pratiques, depuis Staline en 1936 jusqu'à Ceaucescu en 1966 ?
Surtout, pourquoi ne rien dire de l'expérience des grandes démocraties de l'entre-deux-guerres ? Les gouvernements de pays aussi différents que l'Angleterre, la France et la Suède se sont, dès les années 1930, préoccupés du déficit démographique et ont, chacun à leur manière, mis en place une politique d'inspiration nataliste, en France, les prémices de cette politique remontent non pas à Pétain, mais au Front populaire et l'apogée à la Libération. En Angleterre, c'est l'influence du créateur de la sécurité sociale, Beveridge, qui fut décisive. En Suède, c'est la réflexion d'un couple de penseurs sociaux-démocrates, A. et G. Myrdal (futurs prix Nobel l'un et l'autre) qui crée les fondements d'une politique moderne de population.
Revenons au cas français, si volontiers caricaturé. Ainsi, l'idée de "quotient familial" - qui, de nos jours, suscite tant de querelles idéologiques et est supposé être "de droite" - remonte, en fait, au XVIIIe siècle, aux Lumières. Elle répond à un idéal républicain, révolutionnaire. Elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dans ce texte fondateur, lorsque l'on évoque l'impôt, on mentionne la nécessité de prendre en compte la capacité contributive (autrement dit, le nombre de personnes à charge) de celui qui le paie. Le principe était sans doute bien compris par le monde politique de 1945, puisque le Parlement a voté l'adoption de ce principe à l'unanimité. Dans l'histoire de la République, connaît-on beaucoup de dispositions votées ainsi en bloc, sans qu'une voix manque ?
Doit-on rappeler que toutes les grandes religions, dans leur tradition, sont natalistes ? N'oublions pas que le judaïsme, plus ancien, est même plus nataliste que le catholicisme. L'un des reproches le plus communément adressé aux populations juives d'Europe centrale au temps de l'occupation allemande était précisément leur forte fécondité : la propagande nazie disait qu'elles se multipliaient "comme des lapins" ou "comme des rats". Aujourd'hui, la fécondité de la population juive d'Israël est de l'ordre de 3,5 enfants en moyenne par femme : elle est donc trois fois supérieure à celle des pays latins catholiques comme l'Italie ou l'Espagne (1,15). Le judaïsme encourage le mariage précoce et universel, alors que pendant des siècles, en Europe, l’Église catholique, plus ambiguë, a prôné le célibat et le mariage tardif.
Jean-Claude Chesnais, "L'insouciance démographique", Les cahiers de L'Indépendance n°2