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Euro : le retour de la réalité

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Dès 2003, il était devenu évident - même pour les plus partisans défenseurs de l'euro - que la réalité se refusait à se plier à leurs désirs. On assistait à un processus de divergence parmi les économies des pays de la zone euro. En fait, la monnaie unique amplifiait ce phénomène qui devenait, jour après jour, plus marqué. Les résultats de la théorie dite "endogène" des zones monétaires ne s'étaient pas vérifiés. L'une des raisons en fut la politique de taux d'intérêt élevés pratiquée par la BCE. Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet. Mais ce ne fut ni la seule ni même la principale. On doit y ajouter, à partir de fin 2002, la surévaluation de l'euro. Elle a incontestablement aggravé de façon considérable la situation. Mais, surtout, c'est le mécanisme même de la monnaie unique qui, loin de faire converger les économies, a accéléré le processus de divergence. L'euro n'a donc pas favorisé la convergence des économies des pays membres, bien au contraire. On aurait pourtant dû s'attendre à ce résultat.
     L'histoire des faits économiques montre que chaque fois qu'un espace gagne en homogénéité, que ce soit par l'instauration d'une monnaie unique, l'abolition des droits de douane intérieurs ou par la mise en œuvre de nouveaux moyens de communication (les chemins de fer par exemple au XIXe siècle), la divergence des dynamiques économiques entre régions s'accentue. Ceci fut constaté que ce soit en France, en Italie, en Allemagne. Répétons-le, dans le cadre des États-nations, ce phénomène a entraîné à la mise en place de mécanismes de transfert entre régions. Mais ces mécanismes s'appuyaient sur le sentiment d'unité des populations qui s'était construit dans l'Histoire. Ainsi, la crise viticole du début du XXe siècle dans le Sud de la France montre une situation localement insurrectionnelle, mais dont les dirigeants attendent tout de Paris !
     L'euro s'est aussi révélé incapable de freiner, et ce contrairement à ce que soutiennent ses partisans, le mouvement de remise en cause des acquis sociaux que l'on constate dans ces mêmes pays. En réalité, il l'a même accéléré. Il en est ainsi non pas parce que l'euro aurait été en soi une mauvaise idée [sic], mais avant tout parce que le principe de la monnaie unique appliqué à des économies dont les structures - et donc la conjoncture - restent fortement hétérogènes était une erreur, faute de se donner les moyens d'harmoniser rapidement ces structures. 
     Or ces moyens n'existaient pas à l'époque où l'euro fut conçu et n'existent toujours pas aujourd'hui. Il est probable que, dans la meilleure des hypothèses, il faudra au moins une génération pour que l'on puisse parvenir à mettre en place de tels moyens, si jamais on y arrive. L'idée d'une importante contribution à un budget fédéral vient se heurter aux sentiments et aux habitudes des populations. Ce n'est pas seulement un problème de culture, encore que les différences culturelles soient importantes, en particulier dans le domaine des cultures politiques dont on a sous-estimé la résistance. Mais le problème essentiel vient de ce que le consentement à l'impôt est la base de la démocratie et que, pour l'instant, le cadre d'exercice de cette dernière reste la nation souveraine. On est donc très loin de l'histoire de l'Europe et de ses représentations et les perceptions reste un fait massif. La métaphore des "États-Unis d'Europe" est construite sur une illusion, une méconnaissance des réalités, voire un mensonge.
     Il ne saurait ainsi y avoir de politique monétaire unique (et donc de taux de change unique) adaptée et efficace pour l'ensemble des pays concernés. L'euro a accéléré ce phénomène de divergence que j'ai qualifié dans plusieurs articles "d'eurodivergence". Car la monnaie unique, quand elle n'est pas équilibrée par une politique budgétaire particulièrement active, accélère les processus de différenciation fondés sur les écarts de productivité et de coût salarial réel entre pays de la zone monétaire.
     On le constate alors qu'une relative (et temporaire) convergence s'était instaurée de fin 1997 à la fin de 2001. Tout se passe comme si les pays devaient adhérer à la zone euro avaient fait preuve de volontarisme pour passer ce cap que l'on voulait décisif. Mais cet effort, parce qu'il reposait sur le volontarisme politique, ne pouvait être prolongé dans la durée. A partir du quatrième trimestre de 2001, soit près de deux ans après l'introduction de l'euro comme monnaie scripturale et avant même l'introduction de l'euro fiduciaire, on voit de nouveau les courbes du coût salarial réel diverger et les écarts s'ouvrir de manière spectaculaire. 
     Michel Aglietta, un des principaux économistes engagés dans le soutien à l'euro, a dû reconnaître que les espaces qui continuent de porter une trace, même lointaine, de l'économie réelle, comme les Bourses, restent marqués par "la forte résistance des segmentations nationales". Les principales avancées attendues de l'introduction de l'euro ne se sont pas matérialisées.

Jacques Sapir, Faut-il sortir de l'euro ?

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