Quantcast
Channel: ORAGES D'ACIER
Viewing all articles
Browse latest Browse all 15201

Le but de cette stratégie vise à mettre l'adversaire en porte à faux

$
0
0
Les principes stratégiques de la guerre révolutionnaire peuvent se résumer dans une formule de Liddle Hart, compromis entre les thèses léninistes et l'école britannique : "Pour abattre un ennemi, il faut rompre son équilibre en introduisant dans le domaine des opérations un facteur psychologique ou économique qui le place en position d'infériorité, avant qu'une attaque puisse être lancée contre lui avec des chances de succès définitif." C'est ce qu'en d'autres termes expliquait ainsi le colonel de Crève-Cœur dans ses Aperçus sur la stratégie du Viet-Minh : "Le but de cette stratégie vise à mettre l'adversaire en porte à faux, à la manière des procédés de judo qui permettent à un gringalet de terrasser un athlète en dépit du rapport de forces physiques."
     Les dirigeants communistes ont mis au point une tactique et une stratégie révolutionnaires efficaces. La guerre d'Indochine a montré comment, en sept années, un parti d'inspiration marxiste a su acquérir le soutien du peuple, organiser un instrument de combat, et mener une guerre avec le concours de l'armée et du peuple. L'action du Néo-Destour en Tunisie a apporté un autre exemple de guerre révolutionnaire. Ce parti a su, lui aussi, obtenir le soutien populaire, créer un outil de lutte et ouvrir une période de troubles, préparatoire à une guerre totale engageant tous les groupes de la population. Bien que le Néo-Destour ait profité des appuis que lui apportèrent les partis communistes tunisien et français, on ne peut le considérer comme dépendant d'eux. Ceci suffit à montrer combien est complexe l'étude de la guerre révolutionnaire. 
     Mais, quelle que soit la forme particulière de tous ces conflits, quels que soient les liens entre les partis qui les déclenchent et l'Union Soviétique, ils possèdent un trait commun : contrairement aux guerres classiques dont les philosophes pensent qu'elles naissent d'erreurs, la guerre révolutionnaire, elle, naît d'une volonté politique bien affirmée. Les guerres classiques sont considérées comme se situant au carrefour d'une "route matérielle" (progrès des techniques, faiblesse de l'organisation économique, rivalités pour la possession des sources de matières premières et des marchés, etc.) et d'une "route intellectuelle" (développements des mythes de la violence, échec du pacifisme, etc.). A ce titre, elles semblent à certains devoir disparaître de notre avenir au fur et à mesure que l'organisation du monde sera plus rationnelle, tout se passant pour eux comme si, dans sa Paix perpétuelle, Kant avait eu raison de donner un caractère absolu à l'opposition subjective qu'il établissait entre la guerre et "l'idée du droit". Kant et ses disciples proclamaient que l'homme est intellectuellement et moralement responsable du maintien de la paix, et que la guerre sera un danger permanent tant que les hommes n'adapteront pas des règles de conduite plus élevées et plus humaines. Cette thèse, bien que sérieusement altérée au XIXe siècle, a conservé pour beaucoup l'essentiel de sa valeur : selon elle, les guerres ne résultent pas d'un quelconque déterminisme, mais des erreurs de ceux qui dirigent les affaires publiques. S'il y a une certitude pour eux, c'est qu'il ne dépend que des hommes que vienne le temps de la paix universelle, et les "pacifistes" comptent sur l'éducation de l'ensemble des peuples et sur leur participation électorale à la politique pour élever un rempart contre la guerre. Ils soutiennent qu'aucune nation possédant le suffrage universel ne votera pour une guerre, parce que ses hommes et ses femmes ne voudraient pas donner leur vie et celle de leurs enfants pour celle-ci : en d'autres termes, la guerre appartient au domaine du Mal, et c'est le Bien qui doit triompher. Dans cette perspective, la guerre ne peut pas promouvoir le Bien. Dans la perspective révolutionnaire, au contraire, la guerre doit conduire au triomphe de ce Bien, en éliminant les forces politiques et économiques du Mal.
     Le renversement est ainsi complet. Les citoyens se battent pour leur pays : quel que puisse être leur courage, ils ne peuvent se défendre du sentiment que la guerre est une absurdité, qu'elle aurait pu et dû être évitée, et leur courage n'est point incompatible avec une certaine résignation. Cette résignation est inconnue du militant, pour qui la défense de son pays n'est qu'une forme de la lutte pour une idéologie chargée passionnellement de toutes les vertus

Claude Delmas, La guerre révolutionnaire

Viewing all articles
Browse latest Browse all 15201

Trending Articles