C'est la question que peuvent légitimement se poser les citoyens qui financent déjà ce méga-projet, en construction dans les Bouches-du-Rhône pour un coût total de dix milliards d'euros, encensé dans les médias, et dans lequel des dizaines de pays ont placé leurs espoirs.
Pour tenter de répondre à cette question, notons d'abord que la fusion nucléaire, qui consiste à tenter d'imiter les processus énergétiques du soleil, ne devrait pas produire d'énergie utilisable avant 2050-2080, on ne sait pas trop. Le but de cette installation est de générer une puissance de cinq-cents mégawatts en n'en consommant que cinquante, fournis par une centrale nucléaire classique. Mais ce nouveau réacteur ne produira pas d'électricité pour la bonne raison qu'il n'existe pas actuellement de dispositif pour transformer en électricité le flux de neutrons que va générer le plasma. Les scientifiques espèrent toujours trouver entre-temps une solution à ce petit problème...
Mais imaginons un instant qu'ITER fonctionne et que l'on dispose effectivement d'une énergie abondante avec presque ou pas de déchets (ce que promettait l'industrie nucléaire il y a déjà 50 ans et dont il est sorti une pollution généralisée pour des milliers d'années).
Cela impliquerait d'entretenir d'ici là une superstructure industrielle capable de fournir un tel effort de recherche, et, selon le modèle de pensée en vigueur, de maintenir une croissance de la consommation d'énergie jusqu'à l'aboutissement de ce paradis d'abondance supposé. Ceci semble intenable, compte tenu du désastre généralisé qu'a déjà provoqué le mode de " développement " industriel. D'autre part, si les États et les industriels disposaient enfin de cette énergie illimitée, ils s'en serviraient de la même manière qu'ils l'ont fait ces cinquante dernières années : la logique d'accumulation de puissance propre à ces organisations démesurées prendrait un nouvel essor, et les tendances destructives que l'on a vues à l’œuvre depuis le début de l'ère nucléaire seraient portées à leur paroxysme. Plus aucune contrainte d'ordre naturel ne viendrait limiter la capacité de ces appareils à exploiter nos milieux, ni interrompre la marche productiviste. C'est donc ce qui pourrait nous arriver de pire.
L'ITER est un exemple même de la solution technologique censée balayer les problèmes politiques, sociaux et économiques : plutôt que de reconnaître les obstacles insurmontables que rencontre la société industrielle, on espère les pulvériser à coups de réactions nucléaires. Plutôt que de mettre en question le mode de vie fondé sur une consommation effrénée, plutôt que de remettre en question la dictature d'une économie fondée sur la concurrence et donc, sur l'accumulation et la croissance illimitée de la puissance, les États investissent des milliards dans la fuite en avant scientiste, dans le culte de la " technologie-qui-a-réponse-à-tout ".
A nous, bien loin des laboratoires, d'imaginer et de reconstruire un monde dans lequel il apparaîtra d'emblée évident qu'un tel projet est d'une remarquable, éclatante absurdité.
Groupe Oblomoff, Un futur sans avenir