Le 26 mars, Erwann Binet, rapporteur de la loi sur le mariage pour tous, était convié à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines pour une conférence-débat. Au bout d'une trentaine de minutes, l'amphi composé en majorité d'étudiants défavorables au projet de loi, a été envahi par des opposants munis de banderoles et scandant des slogans hostiles au gouvernement. Qui étaient-ils ? Quelles étaient leurs motivations ? Rencontre avec un de ces étudiants qui s'oppose au mariage pour tous.
Comment a été organisée cette manifestation et pourquoi ?
Eric* : L'action a été organisée par le collectif la 'Manif pour tous' qui gère la plupart des événements. Mais il y a énormément d'initiatives locales. C'était le cas de cette manifestation organisée par l'antenne locale de Saint-Quentin-en-Yvelines. Il faut la replacer dans le contexte, on est deux jours après la manif' de Paris (ndlr. le 24 mars) où il y a eu des débordements. Les premiers ont eu lieu parce que la foule s'est tassée sur les barrières, elles n'étaient pas fixées donc ça s'est ouvert. Des familles ont été gazées et un cran de tension est monté ce jour là. Entre temps, Valls (ndlr. le ministre de l'intérieur) a dit que c'était uniquement des "nerveux d’extrême droite" alors qu'on voit bien sur les images de la télé que ce n'est pas le cas. On a aussi entendu le chiffre de 300 000 manifestants donné par la police qui est ridicule. On avait un sentiment d'humiliation avec ce gouvernement qui refuse de nous écouter et de nous entendre.
Qui étaient les manifestants ? Des mouvements étudiants de droite ? Erwann Binet a évoqué le GUD (mouvement étudiant d’extrême droite) dans le Nouvel Obs ...
E : L'Union Nationale Inter-universitaire (UNI) n'a absolument pas pris part à la manif'. Le GUD n'existe plus et ça je le sais très bien parce que je traine dans ces milieux là. Il n'y a plus qu'une petite antenne à Paris. Dans la salle, ça allait de la minette de 16 ans jusqu'à la vieille dame de 60 ans. Certains sortaient du travail. Ce n'est pas un fait estudiantin, ce n'est pas un fait de droite, ce n'est pas un fait catholique ! C'est un vrai bras de fer avec le gouvernement.
Donc l'intervention de mardi à la fac n'était pas prévue avant la manif de dimanche ?
E : Non, elle n'était pas prévue. Ça a été diffusée sur les blogs et les médias concernés par la réforme. Il y a une réaction qui s'est montée, et le but était de frapper un coup fort, surtout médiatiquement pour montrer qu'on ne voulait rien lâcher. C'est la stratégie de tension, toujours rester dans le même cran, voire monter d'un cran contre le gouvernement. Toujours dans des moyens légaux, donc on a décidé d'intervenir et d'interrompre ce débat.
Pourquoi ne pas avoir participé à la conférence et poser des questions comme l'impliquerait la forme du débat ? Pourquoi avoir choisi cette forme d'intervention « violente » ?
E : Parce que nous demandons un débat national et pas des débats locaux. Ce débat, s'il n'y avait pas eu cette manif', personne n'en aurait parlé. Tout le monde s'en fout. Trois étudiants qui changent d'avis et qui disent "bon ok le mariage pour tous c'est pas une bonne idée", c'est pas intéressant politiquement. Alors que là, ça a permis de montrer la contestation à l'échelle nationale.
Tu ne trouves pas paradoxal de réclamer un débat national et de refuser les débats qui peuvent être organisés au sein d'une université ?
E : On peut dire que c'est paradoxal, si on réfléchit de façon purement censée. Mais politiquement non. Le but c'est qu'on en parle le plus possible au niveau national et qu'enfin il y est de vrais débats, qu'il y est des intervenants de tous bords. Il faut savoir qu' Erwann Binet, quand il a reçu l’archevêque de Paris, il l'a auditionné quatre minutes, la même chose pour les représentants musulmans et juifs. Par contre, il a reçu la LGBT (ndlr. Fédération Lesbiennes, Gays, Bi et Trans de France) pendant plus de quarante minutes.
Le but était donc surtout médiatique ? C'était moins de défendre l'opposition au projet que de faire parler de la manifestation ?
E : C'est intrinsèquement lié. Si l'on veut pouvoir gagner ce combat, ou en tout cas si le mariage pour tous passe, éviter la gestation pour autrui, la procréation médicalement assistée, et encore plus l'euthanasie qui sont des horreurs. Il faut que la contestation soit visible, que tout le monde en parle, c'est le seul moyen d'inquiéter le gouvernement sur ces questions. Étant donné qu'on a, pendant des mois, fait des manifs très pacifiques, très gentilles - on a fait une pétition où il y avait plus de 700 000 signatures qui a été refusée - il y a un vrai refus de la part de l'Etat de nous entendre. Le seul moyen c'est d'être médiatisé.
"Nous sommes le peuple"
Est ce que vous risquez des sanctions après cette manifestation au niveau de la fac ou même au niveau pénal ?
E : Le B.D.E A Fortiori** (ndlr. organisateur de la conférence-débat) a dit qu'il avait porté plainte, mais ça semble faux. Il n'y a aucun événement pénal, il n'y a eu aucune violence, aucune dégradation …
La police est quand même intervenue pour vous faire sortir. Erwann Binet a été exfiltré par la DCRI (ndlr. Direction Centrale des Renseignements Intérieurs) ...
E : Je ne sais pas si c'était la DCRI mais il y avait des flics en civil. Une douzaine autour de la faculté, deux ou trois à l'intérieur de l'amphi. Au niveau des sanctions pénales, on ne risque rien, parce qu'il n'y a pas eu de violences et de dégradations, c'était le but de la manifestation. C'est une manif', qui même si elle semble violente, était pacifique. Aucun coup n'a été donné.
On voit quand même des personnes qui essaient de s'interposer et vous les repoussez assez physiquement …
E : Oui, parce qu'ils ont tenté d'arracher la banderole. Le but était de rentrer, de rester mais de ne pas faire preuve de violence. Après si la personne t’empêche d'avancer, le but c'est d'y arriver. Au niveau des sanctions, concrètement je risque un conseil de discipline qui peut aller jusqu'à l'exclusion de la fac et l'interdiction de passer tout examen national pendant cinq ans en France.
Au niveau des slogans, on a entendu « nous sommes le peuple », tu peux nous expliquer ?
E : Oui, Wir sind das Volk (ndlr. 'Nous sommes le peuple' en allemand). C'est le cri des Est-berlinois quand ils abattent le mur. C'est le cri des grandes manifestations de Leibzig, c'est un cri qui avait été repris aussi par Solidarnosc ... C'est un cri contre un Etat qui n'écoute plus.
C'est le cri du peuple contre un Etat ou contre une autre partie du peuple ?
E : Non, absolument pas. Plusieurs personnes l'ont pris comme ça, mais ce n'est absolument pas le but. C'est contre l'Etat et purement contre l'Etat. Comme cette intervention était contre le gouvernement, pas en tant qu'individus, mais en tant que membres du gouvernement. Ce n'était absolument pas contre les personnes qui sont pour le mariage pour tous.
Tu parlais des réseaux sociaux au début de l'interview, c'est un outil que vous utilisez beaucoup ?
E : Bien sûr. Aussi, toute la blogosphère réactionnaire de droite. Mais aussi pas mal de blogs sur la bioéthique. Là ce sont des sujets qui transcendent la politique. Tu peux être pour le respect de la vie et être de gauche, et être contre le respect de la vie et être de droite. La loi pour l'avortement avait été passée sous Giscard.... Internet ça permet de toucher énormément de personnes en faisant pas grand chose et on a vu son efficacité lors du soit-disant printemps arabe.
Tu parles du printemps arabe, il y a des manifestants qui veulent lancer le 'printemps français'. Qu'en penses-tu ?
E : Je suis tout à fait pour cette idée. On voit que c'est une réaction populaire. On l'a vu pendant la manif à Paris, il y avait des personnes habillées comme des racailles, qui étaient là depuis le début, pas uniquement pour se battre avec les policiers. Et dans l'organisation des événements, il y a des personnes diverses, pas forcément de droite. Pour moi, le printemps français est une vraie réaction, qui est populaire, surtout de la part du peuple qui paie ses impôts. Ceux qui ont été manifester, la plupart du temps ils sont le dimanche à la maison, ils mangent en famille, ils paient leurs impôts, c'est pas des criminels ni des extrémistes de droite ou des extrémistes de gauche. C'est la première fois pour beaucoup qu'ils font preuve d'actes politiques. C'est principalement contre l'Etat, parce que c'est en train de virer de la contestation au mariage pour tous à la contestation pour se faire entendre sur le mariage pour tous.
"Il n'est pas question de savoir qui fait quoi dans son pieu et avec qui"
Personnellement, pourquoi es-tu opposé au projet ?
E : Parce que je suis attaché au cadre familial. Le mariage n'est pas seulement une question d'amour mais peut être une question plutôt juridique. Donc on peut très bien être marié sans s'aimer, pour avoir des avantages fiscaux. Il y a un côté juridique et patrimonial. Il faut savoir qu'en France il y a très peu d'enfants adoptés par des couples homosexuels.
Ils existent quand même ... Est-ce que vous y pensez quand vous manifestez ?
E : On ne manifeste pas contre les homosexuels, on manifeste contre le projet de loi sur le mariage pour tous. Il n'est pas question de savoir qui fait quoi dans son pieu et avec qui. Ces enfants peuvent être reconnus par d'autres moyens légaux, notamment l'adoption pour l'un des conjoints ou avec les statuts du PACS. Pour la question de l'adoption, la loi devrait être générale, on ne fait pas une loi pour s'occuper de 5% des français, on fait une loi pour l'ensemble des français. Si tu as envie de t'enfiler avec une carotte ou une chèvre c'est ton délire. Moi c'est pas mes mœurs, je suis plutôt classique. Mais chacun fait ce qu'il veut, tant que ça reste dans le cadre de la loi et chez soi.
Que penses-tu de ceux qui disent que le mariage pour tous c'est la porte ouverte à la polygamie et à la zoophilie ?
E : Je pense que c'est l'une des conséquences possibles, puisque justement, si l'on détruit l'institution du mariage qui est un homme et une femme, où est-ce qu'on s’arrêtera ? Après si le principal argument c'est "ils s'aiment il faut les laisser faire ce qu'ils veulent". Il y a des gens qui vivent à trois en ménages, c'est très beau, mais pourquoi on leur refuserait le mariage si on met l'amour comme unique condition au mariage ?
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