Les Femen osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Mercredi dernier, elles ont brûlé un drapeau salafiste devant la Grande Mosquée de Paris, nouvelle preuve de leur anticléricalisme vulgaire. En voulant pourfendre l’Islamisme, elles se sont attaquées, au moins symboliquement, à l ‘ensemble de la communauté musulmane de France. Alors simple bévue ou consécration ?
« Femen » est un mouvement féministe né en Ukraine en 2008. Ces militantes se sont fait connaître à travers un certain nombre d’actions : tronçonner une croix supposée orthodoxe à Kiev, foutre le bordel pendant l’Euro 2012, déstabiliser une manifestation anti-mariage pour tous à Paris etc. Si la légitimité du combat qu’elles mènent pour l’émancipation des femmes n’est pas à remettre en question, leurs méthodes, leurs amalgames systématiques et leur athéisme hystérique conduisent à des dérives…
Mercredi dernier, les Femen ont montré les limites de leur cohérence déjà très entamée. Trois militantes topless encagoulées et arborant les habituels slogans « Arab women against islamism » et autre « Fuck your morals » ont mis le feu au noir drapeau salafiste. Jusqu’ici tout va bien. Mais les Femen ont jugé pertinent d’accomplir cet autodafé d’étendard devant la Grande Mosquée de Paris, symbole par excellence d’un Islam de France modéré, haï par les intégristes précisément pour cette raison. Place du Puits de l’Ermite on est très loin de la branche parisienne des Frères musulmans ou d’Al Qaïda Ile-de-France. Même Caroline Fourest, qui a pris pour habitude de les soutenir inconditionnellement, a émis quelques réserves : « le choix de la Mosquée de Paris, hier, était contestable dans la mesure où il s’agit d’une Mosquée détestée par les salafistes… »écrit-elle sur sa page Facebook. Inna Shevchenko, l’une des fondatrices du mouvement se justifie ainsi : « Nous voulons dénoncer l’extrémisme religieux. Nous voulons aussi exprimer notre solidarité avec la militante tunisienne Amina que des salafistes ont appelé à lapider ».
Rhabillez-vous !
Le message des Femen est confus. Cette dernière prestation est le symptôme le plus abouti de cette confusion. Ces bouffeuses de prêtres professionnelles sont aveuglées par leur haine viscérale du religieux. À leurs yeux, la religion se réduit au patriarcat et donc à la dévalorisation de la femme. À vrai dire, il n’est pas certain qu’elles dissocient réellement l’extrémisme de la religion et la religion de ses pratiquants : « [l'Ukraine a été incapable] d’éradiquer la mentalité arabe envers les femmes », affirmait Anna Hustol, une des fondatrices du mouvement. Associer la communauté musulmane de France au salafisme est doublement insultant. C’est insultant pour les Français de confession musulmane et c’est insultant pour la France.
Rappelons que l’Islam est une des cibles privilégiées des Femen (??? et quid des catholiques, note de l'équipe). « La nudité, c’est la liberté ! » crient-elles à tue-tête. Ce slogan est une réaction au port du voile dans le monde musulman. Pour les Femen, la femme voilée est soumise, humiliée, oppressée, prisonnière d’une cage de tissu. En revanche, la militante seins nus incarne l’insoumission et la liberté. Enfermer la femme dans cette alternative semble hautement problématique et même nuisible à la cause féministe. On peut porter le voile et être libre comme on peut être assujetti dans la nudité.
Dans le reportage de Caroline Fourest et de Nadia El Fani, intitulé « Nos seins, nos armes » on peut entendre Inna Shevchenko affirmer que la liberté de la femme ne peut être envisagée que par une réappropriation du corps. Les Femen veulent prendre à contre-pied l’image de le femme-objet, de la femme comme corps objectif, comme surface désirable sans contenu. Le but des Femen est de désexualiser leur nudité, de substituer à l’érotisme du corps nu l’agressivité guerrière. Leur exhibitionnisme arrive-t-il à dépasser le paradoxe nudité / féminisme ?
Un paradoxe indépassable
Si la valorisation de la femme doit dans un premier temps, au moins de manière symbolique, passer par la réappropriation du corps, doit-elle s’y cantonner ? Les Femen ne sont-elles pas piégées malgré elles par la dictature de la chair ? Elles se servent de leur corps comme d’un moyen – afin d’exister médiatiquement – et jamais comme d’une fin. Elles sont finalement aliénées et sans cesse renvoyées à ce qu’elles sont au moins spectaculairement : des femmes nues qui poussent des cris. « La réduction permanente des femmes à leur corps et à leur sexualité, la négation de leur compétences intellectuelles, l’invisibilité sociale de celles qui sont inaptes à complaire au regard masculin constituent des pierres d’angles du système patriarcal. Qu’un « mouvement » – elles ne seraient qu’une vingtaine en France – qui se prétend féministe puisse l’ignorer laisse pantois. […] Un féministe qui s’incline devant la domination masculine : il fallait l’inventer », explique cet article brillant paru dans le Monde diplomatique. « Elles se servent de leur corps comme d’un moyen – afin d’exister médiatiquement – et jamais comme d’une fin.»
Exister comme femme en montrant ses seins, en cultivant le goût du « fashion » et du « cool », en recrutant des militantes naturellement privilégiées, en affichant un certain mépris pour le féminisme traditionnel « coincé dans le monde des conférences et des livres » (dixit Femen), semble être un paradoxe indépassable. Combattre la phallocratie en acceptant ses règles, n’est-ce pas là l’erreur fondamentale des Femen ?
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