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Qu'est-ce que la subsidiarité 2/2

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« L’État neuf » de François Perroux
L’économiste français François Perroux a bien vu les défauts que présentaient ces régimes excessivement corporatistes, inadaptés pour l’époque contemporaine, il écrivait « sans intervention rigoureuse de l’État, un système corporatif conduit en droiture à la formation d’une féodalité économique ». Pourtant Perroux proposait un « État neuf », car il estimait l’État libéral incapable de surmonter les graves crises sociales des années Trente. Fondant, en partie, sa théorie économico-sociale sur les communautés de travail, composées d’élus, de patrons, de salariés, Perroux jugeait qu’il fallait avoir un exécutif fort et une décentralisation des fonctions sociales : « de nombreuses tâches présentement confiées à l’État seront assurées aussi correctement, avec autant d’efficacité et à moindre frais dans le cadre de la région, dotée d’une existence, de moyens d’action effectifs et dans celui de la communauté de travail. Ces organes comme les rouages administratifs proprement dits sont en situation d’assurer la régularité et la continuité des échanges entre l’État et la s La Révolution française détruisit les corps intermédiaires, derniers vestiges de la féodalité. Le 4 août fit table rase des institutions médiévales afin de leur substituer les rouages de la République. Petit à petit, le récent citoyen se retrouva seul en face de la toute puissance d’un État de plus en plus centralisateur. Le XIX° siècle vit l’avènement du libéralisme triomphant, responsable de nombreux maux sociaux, dont l’exode vers les villes est le plus marquant. L’homme n’était plus la pierre angulaire, la « clef de voûte » - pour reprendre les mots de Saint-Exupéry - de la société, l’argent l’avait remplacé. Pour contrecarrer cette involution, les papes vont élaborer la « doctrine sociale de l’Église ». Oscillant entre l’ingérence et la non-ingérence de l’État, l’Église critique les excès du matérialisme qui dissout la dignité, et donc la liberté de l’homme. L’encyclique Quadragesimo Anno, fait de la subsidiarité le pilier de sa réflexion : « On ne saurait ni changer, ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers pour les transférer à la communauté les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de relier aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé les fonctions qu ’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes (…) L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber ».

Une « troisième voie » spirituelle
Les papes, et en particulier Léon XIII, ne voulaient pas d’un utopique nouveau Moyen-Age, mais désiraient un projet chrétien face à l’industrialisation d’une société, une nouvelle attitude face au matérialisme et à l’individualisme qui touchaient de plein fouet les classes défavorisées ; une « troisième voie » spirituelle entre capitalisme et socialisme au travers d’un humanisme théocentrique, respectueux de la diversité et de la richesse du corps social. Précédant Rerum Novarum, l’encyclique Hominium Genus (1884) précisait : « comme ils n’ont pas tous les mêmes ressources d’intelligence et qu’ils diffèrent les uns des autres soit par les facultés de l’esprit, soit par les énergies physiques, comme ainsi il existe entre eux mille distinctions, de mœurs, de goûts, de caractère, rien ne répugne tant à la raison que de prétendre les ramener tous à la même mesure et d’introduire dans les instructions de la vie civile une égalité rigoureuse et mathématique. De même, en effet, que la parfaite constitution du corps humain résulte de l’union et de l’assemblage des membres qui n’ont ni les mêmes forces, ni les mêmes fonctions, mais dont l’heureuse association et le concours harmonieux donnent à tout l’organisme sa beauté plastique, sa force et son aptitude à rendre les services nécessaires, de même au sein de la société se trouve une variété presque infinie de parties dissemblables. Si elles étaient toutes égales, rien ne serait plus difforme qu’une telle société. Si au contraire, par une sage hiérarchie des mérites, des goûts, des aptitudes, chacune d’elles concourt au bien général, vous voyez se dresser devant vous l’image d’une société bien ordonnée et conforme à la nature ».

Ainsi, longtemps véhiculé par l’Église catholique à travers la doctrine sociale, le principe de subsidiarité retournera dans la sphère du politique en ce XX°siècle par la place que lui donneront dans leurs corpus doctrinal les groupes fédéralistes militants pour une nouvelle Europe démocratique. Le terme était en effet déjà familier dans les États dotés de statuts de type fédéral ou confédéral tels que l’Allemagne (Länder), la Suisse (Cantons), ou l’Espagne (Communautés autonomes)…Seul l’État français, unitaire et centraliste depuis plusieurs siècles semble allergique à ce concept ; au point que le terme même de subsidiarité se trouve encore absent de la plupart de nos dictionnaires. De nos jours ce principe réapparaît donc corrélativement avec la construction de l’Espace européen et sur la question de la répartition des compétences entre la Communauté et ses États-membres (notamment dans le fameux article 3b du Traité de Maastricht), et vient à point pour rassurer certains « eurosceptiques » effrayés par la dérive centralisatrice et bureaucratique bruxelloise.

Vers un nouveau subsidium ?
Pour notre part, nous pensons toutefois qu’il convient d’éviter de considérer le principe de subsidiarité comme le remède miracle à notre état de déficience démocratique. Nous estimons aujourd’hui que les conditions minimales nécessaires à une bonne application de ce principe ne sont pas remplies à la base. En effet, les sociétés modernes industrialisées souffrent d’une fragmentation du corps social en une myriade d’individus regroupés en structures antagonistes et défendant leurs intérêts à court terme. Consubstantiellement à cette atomisation et à la perte de repères identitaires qui en résulte, disparaît progressivement le sentiment naturel d’appartenance communautaire, le plus souvent au profit d’une culture d’entreprise artificielle et pauvre. Ajoutons à cela la perte de la réflexion et de l’esprit critique de nos contemporains distraits de leurs devoirs de citoyens par les médias. De plus, les structures stato-nationales sont contraintes de s’intégrer (et de se désintégrer) dans la « Mégamachine » (Mumford, Bahro, Latouche) de l’économie-monde dont les principaux corollaires sont : la naissance des macro-régions économiques (ALENA -MERCOSUR - U.E. - ANSEA), l’intensification des transferts de marchandises, de personnes et de capitaux, la délocalisation des industries, la surproduction, l’accélération des transferts d’informations, la diminution des coûts de transport, et la montée en puissance des organisations internationales (ONU -OTAN - etc…).

Prise en tenaille entre la planétarisation des enjeux et l’individualisation des servitudes, une telle société n’est plus en mesure de préserver son autonomie et sa souveraineté. Dans ce contexte, les institutions de Bruxelles ont beau jeu de réclamer l’utilisation de ce principe qui, s’il s’appliquait aujourd’hui, entrainerait de fait, l’instauration d’un droit d’ingérence insupportable et sans contrepartie dans les affaires nationales, régionales et locales des pays européens. Le principe de subsidiarité nécessite en effet pour s’appliquer la recomposition préalable du corps social autour de principes mutualistes. Cette recomposition est d’ores et déjà en cours, mais elle se heurtera de plus en plus souvent aux institutions légales stato-nationales et européennes. La légitime volonté des peuples à se prendre en charge via l’apparition de ces nouvelles communautés génératrices de solidarités concrètes et de convivialités véritables, se heurtera inexorablement au système des partis et des lobbys porteurs d’idéologies obsolètes, et qui sont aujourd’hui, les seuls bénéficiaires du système oligarchique en place.

Stéphane GAUDIN

Fondateur du site : http://www.theatrum-belli.com/

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