À Notre-Dame-des-Landes, la mobilisation ne faiblit pas. Les paysans reprennent des fermes en voie de démolition, comme à Bellevue. Cet ancien domaine agricole de 125 hectares est désormais un haut lieu de la résistance.
Les «squatteurs» qui occupent la zone du projet aéroportuaire à Notre-Dame-des-Landes ne sont plus seulement les «zadistes», ces greffons altermondialistes venus de la France entière pour renforcer les troupes historiques de l'opposition locale. Les paysans eux-mêmes, la plupart déjà expropriés, réinvestissent les lieux de la lutte en reprenant des fermes en voie de démolition ou en aidant de jeunes agriculteurs d'autres régions à installer de nouvelles exploitations.
À Bellevue, alors que l'ordonnance d'expulsion a été délivrée tout récemment par le tribunal de Saint-Nazaire, c'est toute la vie de la ferme qui reprend. Réinvesti en janvier par une demi-douzaine de paysans du coin, l'ancien domaine agricole de 125 hectares est en plein chantier de reconstruction, d'élevage et de replantation. «Sept organisations paysannes gèrent l'exploitation, revendique-t-on ici, une ferme tenue par des paysans pour des paysans!» Comme de nombreux autres depuis la mise en œuvre de l'Aéroport Grand Ouest, l'ancien propriétaire avait pris veaux, vaches, cochons et compensations financières proposées par Vinci, concessionnaire du projet, pour vaquer ailleurs.
Au son des scies à métaux qui tranchent la tôle, imperturbables devant la valse de jeunes gens maniant faux, brouettes et truelles, les 25 vaches à viande, les poules, l'âne et la truie de Bayeux-Longué, mascotte des lieux, paressent dans la chaleur des premiers rayons printaniers. Bénévole, la main-d'œuvre se relaie jour après jour pour un coup de pinceau, un mur à remonter, l'électricité à réparer. Des zadistes, mais aussi des jeunes venus des départements voisins ou de la France plus lointaine sur leur temps de congé. Comme ce jardinier paysagiste ou ce maçon tailleur de pierre, venu de Fougères pour trois jours, attendu comme le Messie pour terminer enfin un chantier qui traînait. Remis en état, le four à pain délivre des miches à l'ancienne, façonnées par des «paysans boulangers dont le blé vient de leurs propres champs», vante avec délice une résidente en louant aussi les «bons produits» du potager.
Chacun apporte son savoir-faire
L'intensification des cultures, des structures, de l'organisation de la vie sur ces hectares annexés par la résistance, feraient presque oublier l'épée de Damoclès qui menace à tout instant de fendre les chefs de cette joyeuse arche de Noë. «L'huissier n'a toujours pas notifié l'expulsion», rassure Juliette, figure emblématique des lieux. Engagée dans la reprise de Bellevue, cette retraitée, «femme de paysan depuis vingt-huit ans», a épousé la cause de NDDL depuis longtemps, quoiqu'elle ne soit pas originaire du coin. Depuis janvier, elle vit à la ferme de Bellevue la semaine et rejoint son mari dans leur exploitation le week-end, en Loire-Atlantique. «Pour nous, anciens, c'est un combat syndical contre la spoliation foncière et environnementale. Nous ne céderons rien, explique Juliette, chaque jour émerveillée de «la solidarité avec les jeunes», qui, eux, «apportent leur énergie et d'autres savoir-faire».
Si l'on conjure la précarité de l'avenir en travaillant avec ferveur, personne ne sous-estime le danger. Des précautions ont été prises. La communauté a ceint la ferme de Bellevue de dizaines de tracteurs enchaînés, comme lors des expulsions du site de La Châtaigneraie cet hiver, dans les bois. Un tour de garde, chaque nuit, est même assuré par des bénévoles qui se relaient. Ce matin-là, Serge et Jean-Michel cèdent la vigie à une nouvelle sentinelle pour regagner leur Morbihan. Dans ce maquis de vie et de guérilla, un bébé s'égaie. Il a 9 mois. Swann est «le bébé de la Zad», sourit Juliette. Né dans le chaudron de la collectivité, aucun bras ne l'effraie.
Un peu plus loin, aux Fosses Noires, d'autres résidents s'activent devant des serres. Ici aussi, on sème, on plante et on reconstruit. Nouvelle stratégie pour définitivement ancrer la lutte. On n'occupe plus la zone pour le simple fait de l'occuper, plus ou moins oisivement, on la rend productive en y enracinant des projets professionnels. Le coup d'envoi a été donné le week-end dernier avec l'opération «Sème ta ZAD», qui lançait une dizaine de nouvelles exploitations. Jean, un jeune agriculteur, est venu de l'est de la France pour installer ses cultures. Un hectare de maraîchage et 2 hectares de céréales. Une agriculture politique, militante. «J'ai laissé tomber mon projet d'installation dans l'Est pour rejoindre cette lutte, explique-t-il, l'occasion de résister au béton tout en cultivant, en faisant mon métier.»
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