Alors que tant de réformes majeures attendent de sortir des tiroirs, certains projets de loi récemment passés en Conseil des Ministres ont de quoi surprendre, ou choquer. Ainsi de celui qui prévoit d’autoriser les professeurs à enseigner dans une langue étrangère dans nos universités et grandes écoles. L’argument avancé est que, pour attirer les étudiants de Chine, de l’Inde et de Corée, il faut enseigner en anglais, qui serait la seule langue que ces étudiants connaissent et ont envie de connaitre ; et que, si nous ne le faisons pas cela, nous serons marginalisés dans l’immense marché du savoir à venir.
Non seulement une telle réforme serait contraire à la Constitution (qui prévoit en son article 2 que « la langue de la République est le français »), mais on ne peut pas imaginer une idée plus stupide, plus contreproductive, plus dangereuse et plus contraire à l’intérêt de la France.
Plus stupide parce que la France n’a aucun mal aujourd’hui à recruter des étudiants étrangers, même venant d’Asie, et de très haut niveau ; ils constituent 13 % des effectifs totaux, soit bien plus que dans les pays, comme la Suède ou le Danemark ou l’Allemagne, qui enseignent en anglais. Et si danger il y a, il est plutôt de perdre des étudiants francophones, en raison de la mauvaise qualité de l’accueil que nous leur réservons et non de la langue de nos universités.
Plus contreproductive, parce que les pays qui enseignent en anglais, quand ce n’est pas la langue maternelle des enseignants, voient inévitablement le niveau de leur enseignement baisser, comme le montra par exemple l’échec cuisant de l’université française de Saigon, qui enseigna un moment en anglais, provoquant le départ en masse de ses étudiants vers l’université américaine de la ville. Alors que, quand notre enseignement est excellent, comme c’est le cas par exemple en mathématiques et en médecine, les étudiants se précipitent pour venir étudier en français et en France ; et les chercheurs de ces disciplines peuvent même publier des articles en français dans des revues anglophones.
Plus dangereuse parce que cela entrainera un recul du nombre d’étrangers apprenant le Français, ce qui n’est pas dans notre intérêt et parce que d’autres demanderont ensuite qu’on fasse cours en allemand, en turc, en arabe, jusque dans le secondaire et le primaire, et même qu’on soit autorisé à le parler dans les administrations.
Plus contraire à l’intérêt de la France enfin, parce que la francophonie est un formidable atout pour l’avenir. Le français, parlé par 220 millions de personnes, est la cinquième langue au monde, derrière le chinois, l’anglais, l’espagnol, le hindi. Elle sera dans 40 ans la quatrième, parlée par près d’un milliard de personnes, si nous réussissons à maintenir notre enseignement du français en Afrique et en Asie, ce qui dépend évidemment de la langue de notre propre enseignement supérieur, en France et sur internet. Alors que passer à l’anglais serait renoncé à faire connaitre notre culture, notre civilisation, notre art de vivre qui constitue aussi un des atouts principaux de la marque France.
S’il est des réformes urgentes à entreprendre en ce domaine, elles sont donc radicalement inverses. Il faut améliorer :
- la réception des étudiants étrangers en France, en leur simplifiant les procédures de visas, les formalités d’inscription, la recherche d’un logement, la délivrance d’une carte de bibliothèque et de restaurant.
- l’apprentissage de l’anglais pour les doctorants français.
- La qualité de nos enseignements en français, pour qu’ils restent, ou redeviennent, d’un niveau mondial.
Si le Parlement était assez aveugle pour voter cette réforme, ce serait un signe de plus donné par la France de l’abandon d’elle-même.
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