Le Kosovo est le cœur historique et religieux de la Serbie. C'est à Pec, au milieu du Kosovo, et non à Belgrade, que siège depuis 1346 le patriarcat orthodoxe de Serbie (mais l'archevêché y existe depuis 1233). En 1389, lors de la bataille du champ des Merles, le royaume serbe s'effondre face aux Turcs. Sous la période ottomane, le Kosovo se peuple d'Albanais qui se convertissent à l'islam et obtiennent ainsi des postes importants dans l'administration impériale. Après la Première Guerre mondiale et l'effondrement de l'Empire ottoman, l’État serbe, qui a recouvré son indépendance en 1878, forme la Yougoslavie avec les Croates et les Slovènes ; le Kosovo redevient alors ce qu'il a toujours été, une simple province. Comment expliquer alors que, le 17 février 2008, un deuxième État albanais ait vu le jour dans les Balkans ?
Après la fin de la guerre froide, profitant de l'effondrement soviétique et de la réunification allemande, Américains, Britanniques, Allemands et Italiens s'entendent pour détruire la Yougoslavie et modifier en profondeur les équilibres en Europe orientale. La France choisira, en Yougoslavie puis en Irak lors de la première guerre du Golfe, d'accompagner la dynamique euro-américaine et d'abandonner ses alliés traditionnels. Viennent alors l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie en 1991, puis la création en 1995 d'un nouvel État, la Bosnie-Herzégovine, où les musulmans sont montés en puissance, d'une part grâce aux services pakistanais et saoudiens qui ont favorisé l'arrivée en Bosnie de djihadistes et d'armes, d'autre part grâce à la CIA qui, par l'intermédiaire des grandes compagnies américaines de mercenariat (la DynCorp et la Military Professional Ressources Inc. plus connue sous le nom de MPRI), a structuré les unités islamiques et piloté de nombreux combats.
DJIHADISTES ET CIA AVEC L'UCK ALBANAISE
La même dynamique se met en marche en Serbie même, pour y soutenir les séparatistes albanais du Kosovo et leur organisation, l'UCK, prise en main par l'Amérique et l'islam politique. La MPRI structure les unités de l'UCK dans les camps d'entraînement d'Albanie, en liaison également avec le renseignement allemand (BND) ; les services saoudiens et pakistanais se chargent, eux, d'intégrer parmi les Albanais des djihadistes internationaux, tandis que les camps d'entraînement d'Al-Qaida en Afghanistan déversent au Kosovo quelques-uns de leurs meilleurs éléments. En 1998, grâce aux mercenaires américains, à l'argent de la drogue (les mafias albanaises de Pristina répandent en Europe occidentale la production afghane), au soutien humain, financier et logistique d'Al-Qaida et des services saoudiens et pakistanais, l'UCK est devenue une organisation surpuissante au Kosovo. Elle fait régner la terreur chez les Serbes, mais aussi chez nombre d'Albanais qui refusent le recours au terrorisme.
LES MOTIVATIONS AMÉRICAINES
1. Le déplacement des troupes américaines stationnées en Europe durant la guerre froide vers les Balkans pour se rapprocher du Moyen-Orient :base de Tuzla en Bosnie-Herzégovine, ouverte en 1995 et, depuis juin 2007, officiellement sous contrôle bosniaque ; base de Szegedin en Hongrie, à la frontière serbe, en mars 1999 ; deux bases en Bulgarie depuis 2001 et une troisième en projet ; quatre bases en Roumanie depuis 2002, dont deux sur le verrou de Constanza (sur le couloir fluvial Rhin/Main/Danube jusqu'à la mer Noire) ; en juin 1999, sur un immense terrain de 550 ha, au sud Kosovo, près de la frontière avec la Macédoine, les Américains commencent la construction du complexe militaire Camp Bondsteel.
2. La deuxième raison tient à l'énergie. Les Américains soutiennent un projet de pipeline qui transportera du pétrole extrait de la mer Caspienne (port bulgare de Burgas) jusqu'à l'Adriatique (port albanais de Vlora), à destination ensuite de Rotterdam ou de la côte Est des États-Unis. Une présence militaire au Kosovo permet de sécuriser le projet AMBO qui associe des intérêts albanais, macédoniens, bulgares aux pétroliers américains (ainsi qu'à Halliburton, la fameuse société dans laquelle le vice-président Cheney a des intérêts importants). Il s'intégrera alors dans un réseau d'infrastructures essentielles (oléoducs, gazoducs, voies de chemin de fer, lignes de télécommunications...) reliant Est et Ouest et échappant au contrôle des Serbes et de nombreux corridors de circulation des flux économiques : l'axe Burgas (mer Noire) - Dürres (Albanie, Adriatique) comme l'axe Budapest-Salonique (qui relie la Hongrie à la Grèce, via Belgrade). Contrôler le Kosovo, c'est donc aussi contrôler une grande partie des flux balkaniques.
3. La troisième raison tient aux ressources minérales du Kosovo. Cette petite province d'un peu plus de 10 000 km² est l'une des plus riches d'Europe en lignite (troisième réserve mondiale), mais aussi en plomb et en zinc ; on y trouve également de l'argent, de l'or, du nickel, du tungstène et du zircon, un minerai rare utilisé dans la fabrication des missiles.
4. Le grand chambardement des frontières fait partie intégrante de la politique étrangère américaine. Prévenir l'émergence d'un monde multipolaire passe par la déstabilisation des pays qui peuvent prétendre au rôle de pôle d'équilibre. L'objectif des Américains est, d'une part, de donner un signe d'encouragement aux séparatismes qui menacent leurs principaux adversaires stratégiques, telles la Russie et la Chine, et, d'autre part, de rendre possible un jour la transformation des frontières du Moyen-Orient, telle que la souhaite l'allié israélien.
5. Une cinquième raison revêt une tournure tragique pour les Européens. Devenu un adversaire militaire des États-Unis, l'islamisme reste un allié politique et une arme de déstabilisation des Européens et des Russes. L'édification d'un État pour les populations musulmanes de Bosnie comme pour celles du Kosovo est dans la droite ligne de la politique menée durant la guerre froide : l'alliance islamo-américaine contre l'Europe et la Russie.
Aymeric Chauprade, Chronique du choc des civilisations