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Retour sur d'interminables gardes à vue pour des opposants ordinaires

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Grégoire, directeur financier d'un groupe industriel, raconte avoir passé 44 heures en garde à vue pour avoir soutenu des manifestants croisés par hasard dans la rue. 

Voila quelques mots de compassion qui lui ont coûté cher. Pour avoir lancé un simple «Bon courage!» à un jeune manifestant à l'oreille ensanglantée, interpellé par la police à l'issue de la Manif pour tous de mercredi dernier, Grégoire a passé 44 heures en garde à vue. Une difficile expérience inédite pour ce directeur financier d'un groupe industriel… Avec onze autres opposants au mariage gay, il a été mis en cause, raconte-t-il encore ébahi, pour «dégradation de biens», «rébellion» et «violences avec armes sur personne dépositaire de l'autorité publique»… 

C'est en rentrant chez lui en vélo, tardivement mercredi soir, que Grégoire remarque, au croisement des Champs- Élysées et de la rue Pierre-Charron, des CRS «arrivant de toutes parts» poursuivant «jusque dans un restaurant» des jeunes manifestants, qu'ils font selon lui brutalement asseoir sur le trottoir. Des jeunes interpellés au hasard? «En fait, ils ont pris tous ceux qui étaient rouges et essoufflés, explique ce célibataire de 40 ans. Parce que cela signifiait qu'ils avaient couru, donc qu'ils fuyaient la police.» Amicie, une étudiante de 25 ans, la seule femme du groupe, témoigne: «Un CRS m'a attrapée sans ménagement et m'a dit: “Faut pas courir comme ça, la p'tite blonde!”». C'est au moment où il glisse quelques mots d'encouragement au jeune étudiant blessé par un coup de matraque que Grégoire se fait embarquer avec les autres

Direction le commissariat du Ve, devant lequel les interpellés restent environ deux heures, dans le fourgon, pendant que les policiers font «une pause à la crêperie», racontent-ils. «Il faisait très chaud, se souvient Amicie, on n'avait pas d'eau ; j'ai fait une crise d'urticaire.» Vers 1 h 30 du matin, le petit groupe se voit signifier sa garde à vue. «Moi qui pèse 50 kg toute mouillée, on m'accusait d'agression de CRS et de dégradation de biens publics, s'étrangle Amicie, parce qu'il y avait, paraît-il, des poubelles renversées…» On leur explique qu'«iI va y avoir une enquête». 

C'est ensuite la fouille - intégrale -, la prise d'empreintes, les photos de face et de profil, «comme les criminels». Confiscation des montres et des lunettes. Les hommes, dans la même cellule, se partagent les six matelas de mousse. Pas de couvertures: «vous voulez attraper la gale?», ironisent les policiers. Des «repas» très frugaux, des biscuits périmés, toujours pas d'eau. Toutefois, face à des policiers pour la plupart bienveillants, les jeunes conservent leur bonne humeur. Menottes aux poignets, ils sont conduits jeudi matin à l'Hôtel-Dieu, pour une visite médicale. Entre un exhibitionniste et deux dealers… «Enfin, on a pu boire et se laver les mains», souffle Grégoire. 

C'est au commissariat du XIXe que la mésaventure se poursuit: la garde à vue est prolongée le jeudi soir. Les manifestants s'entendent répéter: «L'enquête n'est pas terminée: on a besoin de visionner les films de la manif.» Pour Grégoire, la «drôle d'expérience sociologique» tourne au scandale. «Rendez-vous compte qu'il n'a eu que deux auditions d'à peine une demi-heure avec des questions ridicules!, s'insurge son avocat, Me Henri de Beauregard. Et que l'on ignore toujours ce que recouvrent les “violences”, l'“arme” ou les “dégradations”…». La deuxième nuit, le directeur financier est réveillé vers 3 heures du matin pour une deuxième visite médicale. «Là, j'en avais marre, j'avais la larme à l'œil», lâche-t-il. La policière chargée de son audition fait du zèle. «Elle a pris la liste de mes contacts sur mon téléphone, raconte-t-il. Et elle m'a demandé: “Et untel, lui aussi il est pour la Manif pour tous?” Je lui ai répondu en souriant que 55 % des Français étaient contre la loi Taubira…» Sur le PV de l'audition, «un drapeau devient une banderole, un tee-shirt vert devient kaki, avec tout l'imaginaire derrière…», souligne Me de Beauregard. Un PV que Grégoire a d'ailleurs refusé de signer. Les gardés à vue seront finalement relâchés vendredi soir, sans plus de précision, ni convocation ultérieure. 

À la Préfecture de police, on confirme ces interpellations. «Ces personnes ont été arrêtées pour jets de projectiles à l'encontre des policiers, dégradation volontaire de biens publics et privés (un Abribus et une voiture) et rébellion, car les interpellations ont eu lieu hors cadre de la manifestation», explique-t-on. Amer, Grégoire s'interroge encore. «Mais pourquoi n'interpellent-ils pas les vrais fauteurs de troubles?» Amicie, elle, raconte avoir recueilli cette confidence d'un policier: «Si j'avais été en civil, j'aurais été manifester comme vous…on sait très bien qu'on n'a pas pris les bons! Mais la Manif pour tous n'est pas du tout appréciée en haut lieu…» Même traumatisante, cette expérience n'a en tout cas pas démobilisé le groupe. «Quand on a récupéré nos montres, vendredi soir, on s'est dit: “mais c'est l'heure la manif!”, s'amuse Grégoire. Alors, le temps de rentrer prendre une douche, et… on a tous rejoint le défilé.»

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