La sortie de l'euro doit donc être envisagée sérieusement comme une issue à cette crise. Mais elle ne doit pas se contenter d'être un geste symbolique, une simple réaffirmation de notre souveraineté. Or c'est bien souvent comme cela qu'une telle sortie est envisagée. Si une telle mesure s'avère finalement nécessaire, c'est avant tout parce que l'on peut considérer qu'elle et elle seule serait en mesure de permettre la mise en place d'une alternative économique représentant un véritable choix stratégique pour notre pays.
On doit ici ajouter que, si les mesures d'accompagnement nécessaires sont prises, le choc d'une telle sortie pourrait se révéler parfaitement gérable. Une sortie maîtrisée de l'euro impliquerait de prendre les mesures qui nous rendraient indépendants des marchés financiers et des agences de notation quant au financement de notre dette. L'épargne dégagée par la France est à cet égard surabondante. Le financement de la dette pourrait donc être assuré sans compromettre l'effort d'investissement nécessaire. En fait, cette épargne aujourd'hui sert en partie à alimenter la spéculation financière !
Dans la phase transitoire préparant d'ailleurs cette sortie, la chute de la valeur des titres de dette circulant à l'extérieur de nos frontières rendrait possibles des opérations massives de rachat à très bas coût par l’État. La dévaluation qui suivrait alors notre sortie de l'euro, que l'on peut estimer entre 20% et 25%, ne s'accompagnerait donc pas d'un alourdissement de notre dette.
Quant au choc sur le pouvoir d'achat, il faut rappeler qu'il a été estimé à -2% lors de la dévaluation. C'est assurément un choc important, mais un choc instantané. La croissance que permettrait un taux de change ramené à des valeurs bien plus normales qu'aujourd'hui permettrait une augmentation régulière du pouvoir d'achat. C'est d'ailleurs ce que l'on constate dans tous les pays qui ont dû procéder à une forte dévaluation, parfois assortie d'un défaut sur leur dette, ces dernières années. Ainsi, dans le cas de la Russie, après une année de contraction de la demande intérieure (de septembre 1998 à septembre 1999), le pouvoir d'achat a régulièrement augmenté par la suite. Des exemples analogues peuvent être trouvés en Argentine, mais aussi dans les pays d'Asie. Ce choc instantané doit être comparé non pas à la situation actuelle mais à celle où nous serions en l'absence de toute solution en restant dans la zone euro. Les plans d'austérité à répétition qu'il faudrait imposer à la population française impliqueraient une baisse globale du pouvoir d'achat de 4% à 5%, suivie d'une période de stagnation qui durerait au minimum jusqu'en 2015 (soit trois ans) et plus probablement jusqu'en 2018.
- Retrouver rapidement un sentier de forte croissance par une amélioration instantanée de notre compétitivité-prix grâce à une dévaluation d'environ 25%. Cette croissance serait au minimum de 3% l'an en moyenne, avec un pic sans doute à 4%-5% dans les quinze à dix-huit mois qui suivraient la dévaluation.
- Réindustrialiser le pays et offrir des perspectives d'emploi à toute la population résidant sur le territoire national. Ceci a pour but de pérenniser le retour à un sentier de forte croissance. Cette réindustrialisation aurait des effets positifs non seulement sur l'emploi industriel sur les services associés.
- Reprendre l'initiative en matière de progrès technique et d'innovation des dépenses publiques importantes pour assurer l'enracinement de la réindustrialisation dans la durée à travers une évolution et une modernisation de notre appareil productif. Accompagnée par certaines mesures protectionnistes, la dévaluation consécutive à une sortie de l'euro engendrerait un gain total en emplois dans les trois ans après la sortie de l'euro et la dévaluation compris entre 800 000 et 1,3 million d'emplois.
- Garantir la justice sociale tant par la création d'emplois que par la nature des emplois créés et par une concertation permanente avec les syndicats et les forces sociales du pays visant à infléchir le partage de la valeur ajoutée, tout d'abord entre secteur financer et secteur des activités productives et créatrices, puis entre employeurs et employés.
Il est évident que ces objectifs ne peuvent être atteints dans une zone euro en l'état mais que, si des modifications importantes tant des règles de fonctionnement de cette dernière que du taux de change étant adoptées, la monnaie unique pourrait être compatible avec ces objectifs. Cependant, actuellement, le mode de fonctionnement du Conseil Ecofin et les règles entourant la BCE rendent extrêmement peu probable que l'on aboutisse à ces décision rendant ces objectifs atteignables. Encore une fois, le temps de la crise nous contraint. On ne peut attendre indéfiniment que tous nos partenaires prennent conscience de l'impasse où les a menés leur politique. Si techniquement une évolution des formes de gouvernance de la zone euro est certes possible, politiquement et économiquement cette option est d'ores et déjà dépassée. Il faut ici signaler qu'une étude récente de Natixis, pourtant réalisée avant la crise de l'été 2011, est empreinte d'un grand pessimisme quant à la capacité de la France à faire face à son problème de compétitivité tout en remplissant les conditions nécessaires à la survie de la zone euro et donc en comprimant fortement ses dépenses publiques.
Jacques Sapir, Faut-il sortir de l'euro ?