La chose n'est pas des plus médiatisées, mais en ce moment a lieu la campagne pour l'élection des représentants étudiants au sein des Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), les organismes qui gèrent restaurants universitaires, attributions de bourses et aide sociale des étudiants. L'occasion pour les syndicats étudiants de mener campagne, quitte à le faire avec des arguments totalement faux.
C'est ainsi que l'UNI – Union nationale interuniversitaire –, syndicat étudiant proche de l'UMP, a placé sa campagne sous le signe de la "défense des classes moyennes", n'hésitant pas à inventer de toutes pièces, ou presque, une menace sur les allocations logement perçues par les étudiants.
CROUS 2012 - Je vote UNI-MET contre la suppression des APL, pour la défense des classes moyennes from MET - Le mouvement des étudiants
Comme on le voit sur le tract ci-dessus, l'UNI assure que le gouvernement s'apprête, ni plus ni moins, à "détruire" les aides au logement des étudiants. Et le syndicat a lancé un site, Sauvons les classes moyennes, destiné à relayer sa campagne.
On y apprend qu'"afin de trouver l’argent nécessaire pour réaliser la promesse démagogique de François Hollande de créer une allocation d’autonomie, le gouvernement souhaite supprimer les aides au logement ALS/APL ainsi que la demi-part fiscale qui constitue également une aide pour les familles des classes moyennes".
Pourquoi c'est faux : Supprimer les aides au logement des étudiants, voilà une mesure qui aurait d'importantes conséquences pour les nombreux étudiants qui la perçoivent. Il est donc étonnant que la nouvelle n'ait pas fait plus de bruit. Il y a une raison à cela : elle est très, très déformée, voire fausse.
1/ L'allocation d'étude, une proposition du PS largement amendée par le camp Hollande
Quelle est la réalité ? Une revendication ancienne de l'UNEF, un syndicat étudiant proche des socialistes, proposait de créer une allocation universelle versée à tous les étudiants sans conditions de ressources. L'idée, davantage portée par Martine Aubry que par François Hollande, consistait en une refonte de l'ensemble des aides existantes (bourses et aides au logement) dans une seule et même allocation mensuelle.
Le projet avait déjà servi d'angle d'attaque aux syndicats étudiants proche de l'UMP. Le CERU, "think tank" de l'UNI, avait ainsi critiqué ce projet, le jugeant "injuste et dangereux" et le chiffrant à "23 milliards d'euros par an" (sic).
Mais dès le départ, François Hollande s'est montré très sceptique sur ce projet. En avril 2011, "Répondre à gauche", son courant, expliquait dans une note qu'il était hors de question d'accorder cette allocation à tout le monde, et qu'elle devait donc être "versée en fonction des ressources, avec nécessité pour l’étudiant d’offrir une contrepartie sous forme de tutorat".
François Hollande désigné par les militants, c'est son approche qui a prévalu. A la vingt-septième page de son programme, figure cette seule mention : "Je créerai une allocation d’études et de formation sous conditions de ressources dans le cadre d’un parcours d’autonomie".
2/ Un projet repoussé au mieux à la fin du mandat
Le camp Hollande a précisé à la marge cette idée, que la cellule de chiffrage de l'Institut Montaigne, plutôt libéral, évaluait à 669 millions d'euros par an (et donc bien loin des 23 milliards avancés par le CERU). En janvier, François Hollande a mis un sérieux bémol au projet, affirmant qu'il s'appliquerait "quand nous aurons les ressources nécessaires pour le faire". En clair, une fois les finances publiques remises à flot, donc au mieux en fin de quinquennat.
Vincent Peillon, alors en charge des questions d'éducation pour le candidat, ajoutait : "L'idée est de recentrer les aides aux étudiants sur ceux qui en ont besoin." En question, le fait que les bourses soient attribuées en fonction des revenus des parents et non des ressources propres de l'étudiant.
Depuis, Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur, est plutôt vague quant à la mise en place de la réforme. Dans un entretien au Monde, début juin, elle expliquait :
"Toutes les aides seront remises à plat en concertation avec les syndicats étudiants : demi-part fiscale, allocation logement, conditions de ressources ou plutôt indépendance fiscale de l'étudiant... Mais cela ne sera pas prêt pour la rentrée 2012."
3/ Il n'est pas question de "supprimer les APL", mais de les fusionner à d'autres aides
Au-delà du calendrier, qui reste donc assez flou, la question qui se pose est aussi celle de la différence entre "supprimer" une allocation et la fusionner avec d'autres. En septembre, la ministre a évoqué à nouveau la question lors de sa conférence de rentrée :
"Il y aura une refonte de l'ensemble des aides que sont les bourses, la demi-part fiscale, l'allocation logement et les aides sociales du comité national des aides universitaires."
L'idée retenue est donc, sans qu'un projet précis ait été avancé par le gouvernement, de repenser le système d'aides étudiantes dans son ensemble. Il ne s'agirait donc pas de "supprimer" les APL et ALS, mais de les intégrer à une aide globale.
Dans tous les cas, la déclaration de la ministre avait fait bondir l'UNEF, qui avait expliqué être prêt à négocier "à la condition que les aides au logement ne soient pas remises en cause. La remise en cause des aides au logement, que ce soit pour tous les étudiants ou seulement pour une partie, ne constituera pas pour l'UNEF une base de négociation acceptable." Aucun syndicat étudiant ne semble donc prêt à lâcher du lest ou à laisser supprimer l'aide au logement, que touchent 700 000 étudiants sans contrepartie.
4/ La question de la demi-part fiscale
La réelle négociation est ailleurs. Geneviève Fioraso a en effet évoqué la question du cumul entre allocation logement et demi-part fiscale. A l'heure actuelle, les parents d'un étudiant continuent de bénéficier d'une demi-part fiscale, même lorsque ce dernier ne vit plus au foyer parental et donc touche potentiellement une aide au logement.
Ce cumul a posé question à la ministre, qui a indiqué au Monde, début septembre, vouloir "revoir le cumul de l'allocation logement et de la demi-part fiscale", une suggestion reprise d'un rapport de l'IGAS qui jugeait ce cumul inefficient (mais qui proposait d'aménager des exceptions au non-cumul pour les étudiants logés dans une autre ville que leurs parents ou pour les boursiers).
L'annonce avait fait polémique chez les syndicats étudiants. L'UNEF a ainsi refusé catégoriquement toute négociation si elle devait aboutir à la suppression d'une aide étudiante. L'annonce de la ministre avait d'autant plus surpris que le gouvernement précédent avait tenté de faire la même chose. En 2010, Nicolas Sarkozy avait fait la même proposition, s'attirant un tollé unanime des syndicats étudiants et des associations familiales. Le projet avait rapidement été abandonné.
Les négociations sur cette question du cumul allocation logement/demi-part fiscale se tiendront en décembre. L'UNEF évoque l'abandon de la demi-part, à condition que les bénéfices de sa suppression (2,3 milliards d'euros, selon le syndicat) soient affectés à la fameuse allocation d'autonomie.
5/ Les contradictions de l'UNI
Dans sa campagne, l'UNI évoque donc beaucoup de points factuellement erronés, voire contradictoires. Le syndicat affirme en effet que Geneviève Fioraso a "la volonté de supprimer les APL/ALS". Or, ce n'est pas ce qu'a indiqué la ministre ni François Hollande, qui ont parlé de les fusionner avec les autres aides pour créer une "allocation d'autonomie". Ce qui n'est pas la même chose.
Quant l'UNI affirme que "'sans ces aides APLS/ALS, près de la moitié [des étudiants] ne pourrait pas financer" leur logement, le syndicat fait sciemment l'impasse sur le fait que ces aides seraient, dans un projet non encore défini, remplacées par d'autres, et qu'il n'a jamais été question d'en réduire le montant, mais éventuellement de gérer autrement leur affectation.
Ensuite, sur la demi-part. L'UNI affirme que le gouvernement souhaite "supprimer les aides au logement ainsi que la demi-part fiscale qui constitue également une aide pour les familles de classes moyennes". Or, le gouvernement – en tous cas la ministre – évoque en fait l'interdiction du cumul de ces deux aides, et une réforme des aides étudiantes, et non leur suppression simultanée.
6/ Des chiffres bidons
L'UNI va plus loin dans ses argumentaires, et avance une démonstration chiffrée aussi précise d'apparence que factuellement erronée. La voici :
"Le gouvernement a évoqué la création d’une allocation d’autonomie affirmant que celle-ci serait financée par la refonte totale des aides existantes (bourses sur critères sociaux, aides au logement, demi-part fiscale) destinées aux étudiants, soit 4,54 milliards. Si tel était le cas, cela signifierait que l’allocation moyenne ne dépasserait pas 131 euros par mois, ce qui correspond à peine à l’échelon 1 des bourses sur critères sociaux et pénaliserait les étudiants bénéficiant des APL et ALS (aide au logement) qui perçoivent en moyenne 190 € par mois ?!"
Le texte mélange en fait tout :
D'une part, son chiffre de 4,54 milliards : il ne correspond en fait à rien. Selon la cellule de chiffrage de l'Institut Montaigne, les bourses sur critères sociaux représentent 1,609 milliard d'euros. Les aides au logement, quant à elles, représentent largement plus d'un milliard, mais elles ne sont pas ventilées par catégorie. On ne peut donc pas savoir quel montant précis est consacré aux étudiants. Quant à la demi-part fiscale, l'IGAS évoque une économie de 400 millions d'euros pour sa suppression, quand l'Unef la chiffre à 1,2 milliard.
Et même en conservant ce chiffre non sourcé de l'UNI, il est évident que le syndicat étudiant triche : pour parvenir à 131 euros par mois, soit 1 572 euros par an, il distribue les 4,54 milliards d'euros à 2,88 millions d'étudiants. Soit un peu plus de la totalité des étudiants français. Or, on ne compte qu'environ 600 000 boursiers sur critères sociaux et 700 000 étudiants bénéficiaires d'aides au logement, qui sont en grande partie les mêmes. Et le gouvernement comme François Hollande ont été très clairs sur le fait que l'allocation d'autonomie serait sous conditions de ressources. Si on rapporte les 4,54 milliards à 700 000 bénéficiaires actuels d'aide au logement, on parvient à 540 euros par mois, un chiffre bien différent.
Addendum, 16/11 : Quand l'UNEF désinforme aussi
Sans surprise, ce décodage a suscité l'ire des militants de l'UNI, moins sur le fond que sur l'inégalité supposée de traitement entre syndicats étudiants. Nous avions regardé la communication de l'UNEF à cet égard sans trouver d'erreur manifeste. Mais les militants UNI ont déniché un tract où l'UNEF tombe elle aussi dans la désinformation :
Les arguments du syndicat de gauche sont tout aussi erronés que ceux de son homologue de droite : Geneviève Fioraso n'a pas évoqué "la possibilité de suppirmer le droit pour tous les jeunes de toucher des aides au logement pour ne les attribuer qu'en fonction du revenu des familles". A l'heure actuelle, pour calculer les APL ou ALS des étudiants, la CAF leur attribue un plancher de revenu, qui dépend de leur statut de boursier ou non : 4400 € pour les boursiers et 5500 € pour les non boursiers. Pour le moment, ils peuvent cumuler ce système avec le fait que le parents bénéficie d'une demi-part fiscale supplémentaire.
Comme nous l'avons expliqué plus haut, la ministre a évoqué, en tant que piste de négociation, la possibilité de mettre fin au cumul de ces deux avantages. En clair l'étudiant devrait choisir entre avoir la demi-part fiscale et déclarer les revenus de ses parents dans le calcul de son aide au logement et prendre les planchers CAF, mais renoncer à la demi-part. C'est la recommandation de l'IGAS. Mais cet organisme a également recommandé de faire des cas particuliers et de maintenir le cumul pour les étudiants boursiers et pour ceux qui étudient loin du foyer familial. Affirmer, comme le fait l'UNEF, que la mesure "si elle était prise" supprimerait les aides de 450 000 étudiants est donc faux : la mesure n'est pas encore arrêtée ni négociée, et il est impossible de prévoir combien de personnes elle toucherait.
Il est d'ailleurs paradoxal que l'UNEF évoque ce cas sur des tracts alors même que le syndicat étudiant se dit prêt à renoncer à la fameuse demi-part si le manque à gagner est reversé au titre de l'allocation d'autonomie.
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