A mesure que s'impose le libéralisme mondialisé, nombre de grands médias (appartenant souvent aux "hommes de Davos") ne parlent plus que d'une seule voix, tels des hauts-parleurs du mondialisme débridé. Ce qui va dans le sens mondialiste, ces médias le présentent extatiquement comme seule voie possible. Et qui s'oppose au libéralisme mondialiste est tué par le silence, ou diabolisé. Cette imperceptible mutation nuit gravement au décèlement précoce des dangers et menaces faisant de la médiasphère - censée informer - une source majeure d'aveuglement.
Avec comme armes "l'éditorial, le sermon, l'indignation et la mise en demeure" (Régis Debray) et le "despotisme compassionnel", un "clergé cathodique" médiatique impose la pensée unique et la manoeuvre en banc de poissons. Exemple frappant du néopuritanisme de ce clergé, la purge proprement stalinienne, subie en 2009 par le golfeur "Tiger" Woods, convaincu d'adultère. Quoique "figure de la diversité", Woods est sur l'heure condamné à la mort sociale. Toutes les publicités de l'icône ("We know what it takes to be a Tiger") sont expurgées de tous les médias nobles (la presse-poubelle le traquant, elle, jour et nuit.
Sort analogue pour le créateur de mode John Galliano, rappelé par ses éthyliques turpitudes aux étroites limites de l'exercice "bad boy" : la veille encore unanimement considéré comme un génie, il est à l'instant voué aux gémonies. Ici, l'assassinat vient de son propre milieu, sous la plume de la directrice de la revue de mode Stiletto, qui souligne cruellement "le décalage entre les apparitions fardées d'un être qui soignait ses sorties sur le podium après chacun de ses défilés, dandy, gitan, torero ou cosmonaute, et la réalité sordide d'un soir d'alcool".
Ajoutons à cela l'influence croissance des médias sur la classe politique. Or la médiasphère vit certes dans l'endogamie, le flux tendu et l'immédiat, mais aussi, et même surtout, dans la monochromie. Adepte en apparence (et sur tous les tons) de la "diversité", sa pratique quotidienne est en réalité totalement monocorde, comme nous l'apprend Technikart de février 2011 dans un article admirativement intitulé "La ligue des pigistes extraordinaires". On y apprend qu' "une poignée de freelance d'élite" a "la mainmise sur la plupart des publications nationales" ; que la presse "est contrôlée par une poignée de freelance qui remplissent la moitié des publications nationales - GQ, Slate, Mediapart, Voici, VSD, Grazziaétant notamment désignés. L'enquête expose aussi qu'aujourd'hui "le bon goût n'est plus dicté par une intelligentsia qui a pignon sur rue, mais par des précaires talentueux qui dupliquent leur discours de façon semi-industrielle". L'un de ces pigistes "flirtant avec la pensée magique" et en état de "surchauffe permanente" révèle : "Je collabore à une cinquantaine de titres." Décodons : une douzaine de personnages exactement monochromes, d'ordinaire sous l'emprise de produits, licites ou autres, destinés à faciliter leurs infernales cadences, remplit la moitié des journaux.
Or ce qui est gênant, voire malhonnête, pour les médias généralistes, devient dramatiquement dangereux avec la communication économique et financière, ainsi sujette à de brusques bouffées de panique financière que des bandits peuvent bien sûr récupérer, voire susciter, avant d'en récupérer le butin. Ce que confirme l'ex-banquier et trader Richard Bookstaber : "Tout le monde achète les mêmes actions et suit les mêmes stratégies... Comme les marchés sont toujours plus interconnectés, la diversification n'y fonctionne plus bien." En réalité, "le même type d'investisseurs fait les mêmes paris risqués au même moment et fonce sur la sortie quand les ennuis commencent".
Et il conclut : "Tout ça n'étai pas prévu. Pour la théorie économique classique (le libéralisme débridé à la Wall Street), des marchés mondialement interconnectés devaient en théorie stabiliser l'économie mondiale, le risque y étant plus largement réparti et les faiblesses en un point du système étant compensées par des forces par ailleurs."Nous avons pu constater cette distance entre la théorie et la pratique à l'automne 2008.
Brutales paniques médiatiques ; constantes injonctions à la compassion et leçons de morale ; écrasant principe de précaution ("l'obligation pour tout décideur de s'astreindreà une action, ou de s'y refuser, en fonction du risque possible", dit le Conseil d'Etat) ; bombardement publicitaire incessant du mot "émotion". Résultat : en ce millénaire nouveau, l'homme des métropoles mondiales est devenu puéril, pressé, craintif et culpabilisé. Il supporte toujours plus mal la distance entre ce qui devrait être et ce qui est : flexible et mobile par formatage, il travaille dans le seul but de consommer et croit à la "gagne" par le fric.
Xavier Raufer, Quelles guerres après Oussama Ben Laden ?