C'est avec l'apparition de la consommation de masse aux U.S.A. dans les années vingt que l'hédonisme, jusqu'alors l'apanage d'une petite minorité d'artistes ou d'intellectuels, va devenir le comportement général dans la vie courante, là réside la grande révolution culturelle des sociétés modernes. Si l'on envisage la culture sous l'angle du mode de vie, c'est le capitalisme lui-même et non le modernisme artistique qui va être l'artisan principal de la culture hédoniste. Avec la diffusion à une large échelle d'objets considérés jusqu'alors comme objets de luxe, avec la publicité, la mode, les médias de masse et surtout le crédit dont l'institution sape directement le principe de l'épargne, la morale puritaine cède le pas à des valeurs hédonistes encourageant à dépenser, à jouir de la vie, à céder à ses impulsions : dès les années cinquante, la société américaine et même européenne est très largement axée autour du culte de la consommation, des loisirs et du plaisir. "L'éthique protestante fut minée non par le modernisme mais par le capitalisme lui-même. Le plus grand instrument de destruction de l'éthique protestante fut l'invention du crédit. Auparavant, pour acheter, il fallait d'abord économiser. Mais avec une carte de crédit, on pouvait immédiatement satisfaire ses désirs". Le style de vie moderne résulte non seulement des changements de sensibilité impulsés par les artistes il y a un siècle et plus, mais plus profondément encore des transformations du capitalisme il y a soixante ans.
Gilles Lipovetsky, L'ère du vide