C’est avec une virulence inégalable que Socrate combattait les sophistes. Et il le paya très cher, car, tout compte fait, ce n’est pas Protagoras qui dut boire de la cigüe, mais bien Socrate dont les idées furent subtilement falsifiées. Certaines tendances exégétiques ont tendance à voir en Socrate une préfiguration christique dans la mesure où, certes, il s’agissait d’un martyr de la vérité prêt à périr au nom de ses convictions.
Cette facette du personnage a quelque chose de fabuleux puisque, comparé aux moultes thèses philosophiques que l’on nous fait ingurgiter durant les années lycée et qui s’évaporent tout de suite après l’obtention du BAC, celle-ci reste longtemps gravée dans la mémoire.
Les époques passent, la philosophie reste. Simplement, on ne l’écoute plus. Ou on ne l’entend plus. C’est la sophistique qui a eu le dernier mot. Protagoras, une fois de plus, a gagné. Qui est ce nouveau Protagoras qui, allant plus loin que son lointain prédécesseur, s’évertue à faire de soi, d’Israël dont il se réclame explicitement, la mesure de toute chose ? Mais bien sûr, il s’agit de cette star presque douée du don d’ubiquité qu’est M. Bernard Henri Lévy.
Brillant à sa façon, beau parleur, « aristocrate sans noblesse ou ignoble » comme l’a désigné Alain Soral lors d’un énième accès de franchise, BHL sert les intérêts non pas directement d’Israël, car, en aucun cas, je ne voudrais insinuer cette amalgame, mais bien ceux du lobby sioniste. Il s’y dévoue corps et âme, jusqu’à se réfugier, quand besoin est, dans le déni de l’évidence ou dans des discours évasifs que n’importe quel littéraire à la langue déliée pourrait tenir.
Pour en avoir une représentation plus détaillée et plus vive, je vous encourage à consulter une vidéo postée il y a à peu près deux semaines de là sur youtube par des membres de l’UPR (Union pour la République). Elle est intitulée de la façon suivante : François Asselineau déstabilise BHL et lui propose un débat. En fait, c’est Erick Mary, secrétaire National à la Coordination (UPR), qui lance un défi à Lévy lors d’une espèce de conférence fermée où l’UPR semble s’être invitée d’elle-même. Voici donc ces deux questions insidieuses qui donnèrent tant de peine à BHL :
- Est-ce que dans une démocratie, aujourd’hui, il doit y avoir des sujets tabous ?
- Pourquoi est-ce qu’il n’y a aucun eurosceptique sur ce plateau pour débattre avec vous ?
Le spectacle commence là. Passant outre à ces deux questions, BHL nous abreuve d’élucubrations délayées fondées sur l’idée diffuse d’une UE qui est « chimère », « immense utopie » mais qui, bien malheureusement, se retrouve banalisée par ses détracteurs. Ce qui chiffonne d’emblée, ce sont les termes employés par BHL pour caractériser l’Empire qu’il défend. Une chimère, dit-il. Une utopie, renchérit-il. Je crois qu’il y a une profonde contradiction avant tout lexicale, puisque, dans les deux cas, nous avons affaire au mythe, au degré d’existence réelle zéro. Il n’y a par conséquent rien à banaliser. Suivent des arguments hallucinants : M. Lévy évoque l’exemple de deux jeunes filles présentes sur le plateau dont le français, d’une qualité irréprochable, l’a manifestement frappé puisque ces demoiselles n’étaient pas françaises. Elles étaient espagnoles. Grand bien leur fasse, moi j’appelle ça du bilinguisme. BHL pousse ses fantaisies à bien plus loin, établissant une synonymie directe entre bilinguisme et européisme. Ce sont, répète-t-il, des « européennes nées » qui, fortes de cet européisme inné, n’ont pas conscience des faiblesses de l’Europe. Et c’est reparti de plus belle ! L’Europe est un « combat », un combat tout comme l’est la démocratie, un combat qui pourrait être perdu si, par exemple, Berlusconi revient au pouvoir lui qui, ô grand vilain, « prétend qu’il n’y avait pas que du mauvais dans Mussolini ». J’ai beaucoup apprécié la riposte de M. Mary qui a pointé le doigt sur les défilés des anciens Waffen-SS en Lettonie, thématique curieusement laissée de côté par Lévy dans ses discours anti-fachos et pourtant, je crois qu’il y a beaucoup à dire là-dessus.
Et maintenant, trêve de balivernes. Mettons-nous à l’évidence. Notre héros se moque éperdument des Waffen, car, il ne faut pas l’oublier, le fascisme se sert sous différentes sauces et l’une de ces sauces se prépare à petit feu aux antichambres d’Israël, c’est-à-dire aux USA via les états membres de l’OTAN qui font le sale boulot. Allez donc consulter le site de BHL et vous y verrez, en guise de devise, cette thèse qui, quoique polysémique, révèle parfaitement la personnalité du personnage si on la remet dans son contexte initial : « L’art de la philosophie ne vaut que s’il est un art de la guerre ». L’art du meurtre, car, qui dit A, devrait dire B.
Cette guerre, ostentatoirement offensive, ostentatoirement parasitaire qui est menée sous l’égide du lévyisme, on la retrouve toute belle, toute éclatante, toute cirée à la lumière de ce documentaire entièrement faussaire qu’est le Serment de Tobrouk. On y voit un Lévy resplendissant, entrant en Supermen en terre libyenne, y semant les grains de la liberté, de connivence parfaite avec Mme. Clinton affublée, tout comme lui, d’un rôle messianique. Mais les Français, entre-temps, ils en ont soupé de ce baratin autodithyrambique. La preuve : le documentaire n’a eu que très peu de succès avec seulement 1475 visualisations en une semaine sur un réseau de 15 salles. Lévy ose nous parler de la Libye comme il avait osé, en inspirateur idéologique de l’affaire yougoslave, nous parler de l’émancipation du Kosovo. Le bilan, on le connaît. Qui donc nous ressuscitera ces serbes, hommes, femmes, enfants, charcutés pour le plus grand bien de la démocratie ? Où est donc le tout-puissant BHL lorsqu’il est d’une importance cruciale de dénoncer la transplantologie noire qui s’exerçait dans les tréfonds de cette région ethniquement saignée à blanc ? Idem pour l’Irak qui à ce jour est un pays détruit. Idem pour la Lybie dont on ne parle même plus, car il s’agit tout bonnement de deux états plongés dans la Charia ? La Lybie qui était, pour rappel, un état extrêmement riche, un état satellite en plein Afrique, un état qui, grâce aux engagements de Kadhafi, était sur le point de créer le Dinar-or, monnaie susceptible de contrer efficacement le système Dollar. Or, qu’a donc fait BHL ? Il a, via le soutien sarkoziste et son don de conviction, exploité les différends tribaux presque antédiluviens inséparables de l’histoire libyenne, exploité les nuances de l’Islam pour les diriger contre cet islam éclairé qui semble tant chiffonner notre grand démocrate.
Les appétits de BHL ne tarissent pas pour si peu. Inlassable, le voici qui revient cinquante ans en arrière pour extraire l’Algérie du carcan antidémocrate dans lequel ce pays, jusque là autonome, si je ne m’abuse, aurait la malchance d’être plongé. Je me contenterai de reprendre ces paroles de Lévy qui expliquent, de un, la nature perverse des révolutions oranges, de deux, l’introduction des troupes françaises au cœur du Mali qui, dès le début, n’était conçu que comme une sorte de tremplin, de destination transitoire. « L’Algérie n’est pas un pays arabe ni islamique mais un pays juif et français, sur un plan culturel (…). L’Algérie connaîtra elle aussi un printemps arabe ». Mentionnant le cas algérien, Lévy arbore ce rictus hideux qui ne semble plus trop nuire à son image de marque. Il nous parle de « maturité » algérienne et personne ne vient le contredire. Belle maturité, en effet, que celle qui a été acquise au Kosovo, en Irak, en Tunisie, en Libye.
La philosophie, c’est comme l’homéopathie. Il est des herbes qui guérissent. Il est des herbes qui tuent. La BHL étant un poison sous toutes ses formes, elle requiert un antidote mais celui-ci ne pourra être élaboré que le jour où la France renoncera à servir des lobbies qui jamais au grand jamais ne tiendront compte de ses intérêts. En attendant, espérons qu’il se trouvera un Camus ou un Malraux susceptible de dévisser conceptuellement les fondements du lévyisme.
Françoise Compoint
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