Nous qui avons tant usé des loisirs autorisés par la démocratie marchande, que nous en est-il resté ? Qu'est-ce qui a bien pu un jour nous pousser à aller jogger le dimanche matin ? Qu'es-ce qui tient tous ces fanatiques de karaté, ces fondus de bricolage, de pêche ou de mycologie ? Quoi, sinon la nécessité de remplir un complet désoeuvrement, de reconstituer sa force de travail ou son "capital santé" ? La plupart des loisirs pourrait aisément se dépouiller de leur caractère d'absurdité, et devenir autre chose que des loisirs. La boxe n'a pas toujours été réservée à faire des démonstrations de le Téléthon ou à donner des matchs à grand spectacle. La Chine du début du XXe siècle, dépecée par des hordes de colons et affamée par de trop longues sécheresses, a vu des centaines de milliers de paysans pauvres s'organiser autour d'innombrables clubs de boxe à ciel ouvert pour reprendre aux riches et aux colons ce dont ils avaient été spoliés. Ce fut la révolte des boxers. Il ne sera jamais trop tôt pour apprendre et pratiquer ce que des temps moins pacifiés, moins prévisibles vont requérir de nous. Notre dépendance à la métropole - à sa médecine, à son agriculture, à sa police - est telle, à présent, que nous ne pouvons l'attaquer sans nous mettre en péril nous-mêmes. C'est la conscience informulée de cette invulnérabilité qui fait l'autolimitation spontanée des mouvements sociaux actuels, qui fait redouter les crises et désirer la "sécurité". C'est par elle que les grèves ont troqué l'horizon de la révolution pour celui du retour à la normale. Se dégager de cette fatalité appelle un long et consistant processus d'apprentissage, des expérimentations multiples, massives. Il s'agit de savoir se battre, crocheter des serrures, soigner des fractures aussi bien que des angines, construire un émetteur radio pirate, monter des cantines de rue, viser juste, mais aussi rassembler les savoirs épars et continuer une agronomie de guerre, comprendre la biologie du plancton, la composition des sols, étudier les associations de plantes et ainsi retrouver les intuitions perdues, tous les usages, tous les liens possibles avec notre milieu immédiat et les limites au-delà desquelles nous l'épuisons; cela dès aujourd'hui, et pour les jours où il nous faudra en obtenir plus qu'une part symbolique de notre nourriture et de nos soins.
comité invisible, L'insurrection qui vient