Le collectif Sophocle rassemblant des élèves et anciens élèves de Sciences-Po publie une tribune expliquant leur participation à la manifestation de dimanche.
Pourquoi 104 élèves et anciens élèves de Sciences-Po manifesteront le 26 mai contre le « mariage pour tous »
L’objectif de Sciences Po. depuis sa création est de former des étudiants capables de comprendre les enjeux contemporains et désireux de s’engager pour le bien commun et l’intérêt général, qu’ils travaillent en entreprise, dans l’administration ou le monde politique, social ou associatif. Nous, élèves et anciens élèves de cette école, ne pouvons rester indifférents au débat quant à la loi, aujourd’hui promulguée, sur le mariage homosexuel qui déchaîne les passions politiques depuis plusieurs mois déjà.
Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre
Il y a là en effet matière à étonnement. On aura vu des foules joyeuses prendre la rue et se confronter à des CRS applaudis par des vétérans de mai 68. On aura vu des tautologies élevées au rang d’opinion politique et de slogan – qui plus est subversif (« tous nés d’un père et d’une mère » ; « un père, une mère, c’est complémentaire », etc.). On aura vu le président de l’apaisement de la vie politique, du rassemblement des Français imposer de force une loi majoritairement refusée par l’opinion, refuser de recevoir les organisateurs de la plus grande manifestation depuis des décennies et étouffer la première pétition citoyenne saisissant du sujet le Conseil économique, social et environnemental.
Réforme pour quelques-uns, conséquences pour tous
Mais c’est d’abord au nom de l’intérêt général que se fonde notre engagement. Le droit de se marier est un droit fondamental qui est d’ores et déjà reconnu à tous. Dire cela, ce n’est ni user d’un sophisme, ni moquer une aspiration légitime et une souffrance bien réelle ; c’est souligner que ce qui est en jeu, ce n’est pas l’extension aux uns d’un droit reconnu aux autres, mais la modification de la signification du mariage.
L’amour n’en est pas le fondement, car seul un Etat totalitaire pourrait s’arroger le droit de décerner des brevets officiels consacrant l’amour de particuliers. Ce qui en est le fondement, c’est la génération et l’éducation des enfants, afin d’en assurer l’épanouissement et surtout d’en garantir la filiation. Or la filiation se construit depuis toujours à partir de l’engendrement. Sont, en droit, père et mère de l’enfant l’homme et la femme qui l’ont conçu – à l’exception des procédures d’adoption rendues nécessaires par la disparition des parents.
Avec le mariage homosexuel, ce lien entre filiation et engendrement est abandonné, puisque le législateur entend imposer la fiction d’une filiation sans engendrement. Cette rupture s’imposera à tous les couples, homosexuels comme hétérosexuels, et constitue la véritable « réforme de civilisation » annoncée par la Garde des Sceaux. La filiation reposera désormais sur la seule volonté des adultes. C’est donc très logiquement que la ministre de la famille, Mme BERTINOTTI, a déclaré à l’Assemblée Nationale qu’« il ne suffit pas d’accoucher pour être mère ». Cela sera même en réalité superflu.
Opposés à cette négation de la réalité, nous entendons réaffirmer que, s’il est sans doute préférable qu’un enfant soit désiré par ses parents, ce n’est pas le « projet parental » de ces derniers qui fonde son existence ou sa dignité. Nous affirmons que les adultes mentent aux enfants lorsqu’ils leur font croire que l’engendrement n’a aucune importance dans l’établissement de la filiation. L’expérience des quelques pays ayant légalisé le mariage homosexuel illustre d’ailleurs la revanche de la filiation-engendrement, par la demande des « parents sociaux », qui ont nécessairement fait appel à au moins un tiers pour avoir un enfant, d’une « coparentalité » avec les « parents biologiques ».
Et l’enfant dans tout ça ?
Enseignants, éducateurs et pédopsychiatres, les professionnels de l’enfance sont unanimes pour constater que les enfants ont besoin d’un référent paternel et maternel. Ils notent également que la déstructuration actuelle de la famille leur est déjà très préjudiciable. Le projet TAUBIRA n’en projette pas moins de priver délibérément des enfants d’un père ou d’une mère. Il les considère en réalité moins comme des sujets de droit que comme les objets d’un « droit à l’enfant » à garantir à tous. En définitive l’enfant devient la variable d’ajustement du désir des adultes.
Or, est-il besoin de le rappeler, ce n’est pas la loi qui interdit aux homosexuels d’avoir des enfants. En promettant aux couples homosexuels une « parentalité » sans leur en donner les moyens (en particulier parce qu’il y a beaucoup moins d’enfants à adopter que de couples désireux de le faire) ce projet nous conduit logiquement vers la PMA et la GPA. L’affirmation d’une certaine conception de l’égalité qui sous-tend ce projet de loi ne nous laisse aucune illusion sur les intentions du Gouvernement et de la majorité parlementaire à ce sujet. Alors que la circulaire TAUBIRA légitime dans notre droit les démarches de parents qui, en toute connaissance de cause, sont allés à l’étranger acquérir un enfant né d’une mère porteuse, l’affirmation par le Gouvernement de son hostilité à cette pratique paraît bien hypocrite.
Alors que des entreprises appâtées par les futurs profits démarchent d’ores et déjà les couples pour leur proposer une PMA ou une GPA à l’étranger, on ne peut prétendre ignorer la marchandisation de l’être humain et l’asservissement de femmes pauvres en Europe de l’Est, en Inde ou ailleurs qui en seront la conséquence. Alors que se multiplient les témoignages d’enfants nés sous X à la recherche de leurs origines, on ne peut prétendre ignorer le manque que ressentiront ces enfants.
Nous manifesterons le 26 mai
Forts de ces convictions, nous ne pouvons que demander le retrait de la loi TAUBIRA et continuer à nous y opposer, malgré la décision du Conseil Constitutionnel et la promulgation par le Président de la République. Nous saluons l’impressionnante mobilisation populaire pour la défense des droits des enfants, de la filiation et de la famille qui doit s’exprimer une nouvelle fois.
La jeunesse d’un grand nombre de manifestants n’explique pas seulement leur joyeuse inexpérience ; elle montre aussi le rejet de l’héritage de toute une génération qui a voulu imposer les ravages des égoïsmes individuels, du jouir-sans-entraves et de la marchandisation à outrance jusqu’à celle, maintenant, des enfants.
Ces jeunes, dont nous faisons partie, cherchent leur voie dans un sens qui n’est pas celui que leurs aînés voulaient définir une fois pour toutes comme celui de l’histoire. Nous, élèves et anciens élèves de Sciences-po, sommes prêts, en réponse à la vocation de l’école qui nous a formés, à participer, là où nous sommes, à cette aventure exaltante et nécessaire.
Etudiants et jeunes professionnels, nous considérons qu’il est légitime de s’opposer à une loi injuste même légalement promulguée à l’exemple d’Antigone, l’héroïne de Sophocle, dont notre collectif a pris le nom. C’est pour cette raison que nous manifesterons le 26 mai.
Le collectif Sophocle – « Les Sciences Po. Contre la loi TAUBIRA, pour la réalité de la filiation »