Iseul fait partie des "Antigones". Cette jeune étudiante en droit a infiltré le mouvement des Femen pendant deux mois. Récit d’une immersion dans un système qui tient de la secte et de l’agence de com.
« Beaucoup de personnes dans mon entourage désapprouvaient les actions des Femen, mais personne ne faisait rien. J’ai voulu m’engager. Les voir de près, pouvoir en parler ». Jeune étudiante en droit de 21 ans, Iseul – un prénom d’emprunt – a rejoint les Femen début avril. « Je les ai d’abord contactées pour leur dire que je voulais participer à leur lutte. Pas de réponse. J’ai alors décidé d’aller les voir, en prétextant une demande d’autographe. Je me suis présentée au Lavoir Moderne Parisien, un ancien squat qu’elles occupent, dans le quartier de la Goutte-d’Or. Quand Oksana, l’une des Ukrainiennes fondatrices du mouvement, m’a signé mon autographe, je me suis lancée, je lui ai dit que je voulais les rejoindre. Elle ne m’a pas posé de questions, elle m’a simplement répondu : "Viens demain à l’entraînement". »
Car les Femen s’entraînent. Tous les samedis, les « soldates » - une vingtaine de jeunes filles –passent plus de deux heures à améliorer leur résistance physique et à intégrer les modes d’actions des féministes ukrainiennes. Iseul a participé à six de ces séances. « On court en rond en criant des slogans comme « Pope no more », « In gay we trust » ou « Topless Jihad ! », raconte-t-elle. On fait des pompes, des abdos. On apprend aussi comment obtenir des photos spectaculaires : comment tomber au sol, comment disposer les bras, comment se comporter avec les policiers… » Sur le terrain, l’intervention de la police est un moment-clé. Les militantes ont ordre de demeurer sur le « théâtre d’opération » jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre. « Inna [Chevtchenko, la fondatrice] le répète sans cesse : la police n’est pas notre ennemi mais un partenaire, un moyen de faire des images, du bruit médiatique. »
Cette obsession de l’image est depuis le départ, en Ukraine, au cœur de la mécanique des Femen. Leurs entraînements hebdomadaires au Lavoir Moderne sont toujours filmés et ouverts aux journalistes. « Alors que je venais de participer à mon premier entraînement, que je ne connaissais donc personne, et que personne ou presque ne me connaissait, j’ai dû m’exprimer face à une télévision flamande voir la vidéo, dire pourquoi je menais ce combat, etc. C’était insensé », raconte Iseul. Être prête à parler, à se montrer, à se dénuder. « Elles ont besoin de visages et de paires de seins. Comme ce n’est pas facile de se mettre nues, une sélection s’installe entre les filles qui sont prêtes à le faire, qui pourront donc participer aux actions, et les autres, qui quittent alors le mouvement ou sont cantonnées à des tâches administratives. »
Comme de nombreuses organisations militantes, les Femen fonctionnent sur le principe des cercles concentriques. Il y a d’abord les milliers de sympathisantes, essentiellement actives sur les réseaux sociaux, outil indispensable à tout mouvement de ce type, mais sans réelle proximité. Les militantes actives constituent le deuxième cercle, beaucoup plus restreint : une vingtaine de jeunes femmes. Enfin, au cœur du dispositif, se trouve le premier cercle, formé par deux des fondatrices ukrainiennes, Inna et Oksana, et trois Françaises. Ces cinq personnes maintiennent un contact permanent avec la "base" restée en Ukraine, qui constitue encore la tête pensante du mouvement, mais elles communiquent très peu avec le second cercle. « Il n’y a pas de dialogue, ni d’échanges d’infos, explique Iseul. Pour une militante, c’est presque angoissant. On ne sait pas ce qui se prépare, ou seulement au dernier moment. Le mouvement est très hiérarchisé et très opaque. »
Un combat pour quelles idées ? « Ce qui m’a le plus surpris, raconte Iseul, c’est précisément qu’on ne parle pas beaucoup d’idées. Rien à voir avec le féminisme intello auquel on est habitué en France. Elles sont beaucoup plus dans l’action. » Et de décrire une ambiance où le narcissisme, amplifié par la nécessité d’exposer son corps et le désir d’être à l’affiche, les querelles d’ego et l’autoritarisme presque militaire des meneuses supplantent largement tout débat. Du reste certaines idées vont de soi ; elles font partie du manifeste du groupe ou des questions systématiquement posées aux nouvelles candidates : êtes-vous prêtes à lutter contre la prostitution, contre les dictatures, contre l’Église ? « Les fondatrices reprochent aux Françaises d’être trop bourgeoises. Elles éprouvent une véritable haine pour ceux qu’elles considèrent comme leurs ennemis », explique Iseul qui pense que cette violence, théâtrale, peut aussi s’expliquer par l’histoire personnelle de certaines de ces Femen.
Pour les approcher, Iseul s’était créé sur Facebook un profil de féministe plus vrai que nature, y glissant notamment des photos où elle posait, seins nus, avec sur son ventre un message de soutien à Amina, une militante tunisienne. Un passeport presque suffisant. Hormis un chèque d’inscription (« que par chance j’ai pu régler en liquide ») et un entretien sommaire, on ne lui a pas demandé de prouver son identité. « En fait, on ne pose pas de questions sur le passé, sur les parcours. On est dans le présent, dans la préparation des actions à venir ou le débriefing des actions menées. ». Des militantes françaises elle a pu dessiner le profil. « Il y avait des profs, une pigiste, des intermittentes, des filles qui avaient connu la prostitution, aussi… Mues par un désir d’un engagement un peu nouveau, un peu punk, avec une prise de risque. Des filles qui cherchent une certaine reconnaissance, ou qui s’ennuient », analyse-t-elle. Dans cet état d’esprit, le lien de confiance établi, ou pas, avec les leaders du mouvement, joue un rôle décisif. L’organisation du mouvement repose plus sur l’affect, le don de soi (« On demande aux militantes les plus actives d’emménager au Lavoir, de tout quitter ») que sur une organisation rationnelle.
Se définissant comme « une catholique normale », rentrée dans le mouvement précisément en réaction au « traitement médiatique trop indulgent », de l’épisode des Femen à Notre-Dame, Iseul a pu juger de près la complaisance de la majorité des médias. « Ce qui est significatif, raconte-t-elle, c’est que la cote médiatique des Femen a grimpé après les actions anti-Civitas ou anti-catho, mais a subi un coup d’arrêt après l’affaire du drapeau brûlé devant la Grande Mosquée de Paris ».
Pour Iseul, l’infiltration a pris fin ce samedi, à 15 heures. « J’étais sur le point de participer à une action sur le terrain, explique-t-elle. Éthiquement, je ne voulais pas. On n’a que sa personne à offrir aux Femen. J’y ai passé près de deux mois, parce que je voulais voir. Cela suffit. » Alors qu’elle participait à l’entraînement ce samedi, Iseul a quitté le groupe et décidé de faire connaître sa démarche au public : elle a révélé son appartenance aux "Antigones", un rassemblement de jeunes femmes qui ont conduit cet après-midi une première action spectaculaire contre les Femen, devant le Lavoir moderne. Un mouvement qui affirme que « la femme a sa dignité [qui] ne passe ni par l’exhibitionnisme, ni par l’hystérie ».
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