Les forces de l'ordre ont placé 231 personnes en garde à vue dimanche, après les dérapages qui ont suivi la manifestation des opposants au mariage pour tous. Quatre d'entre eux racontent leur soirée et leur nuit à francetv info.
Ils s'appellent Pierre, Soazig, Joachim et Arthur. Agés de 19 à 25 ans, ils font partie des 231 personnes placées en garde à vue à l'issue des violences sur l'esplanade des Invalides, à Paris, dimanche 26 mai. Farouches opposants à la loi sur le mariage des homosexuels depuis le début de la mobilisation, ils dénoncent des "interpellations politiques" mais ont accepté de raconter à francetv info leur soirée mouvementée et les quelques heures qu'ils ont passées au poste de police.
Pierre, 23 ans : "Ils avaient prévu d'embarquer du monde pour faire du chiffre"
Il vous sert poliment du "chère madame" mais ne vous quitte pas de son regard perçant. Veste kaki, un scapulaire [signe religieux catholique] sous le polo rouge, Pierre, 23 ans, le reconnaît volontiers : "On savait qu'il allait se passer quelque chose." Dimanche, après avoir défilé avec des militants de l'UNI, le syndicat étudiant de droite dont il fait partie, le jeune homme est resté malgré la tension montante.
"C'était des heures sup' de manif, dans l'illégalité pour contester le pouvoir en place mais pas dans la violence", explique-t-il en tirant sur une cigarette. Promis, il n'a lancé aucun projectile. Mais est resté suffisamment près des affrontements pour recevoir un tir de flashball, "par ricochet", juste au-dessus du genou gauche. A partir de ce moment, il s'éloigne en boitillant et continue "à observer". Vers 22h30 du côté du métro La Tour-Maubourg, une cinquantaine de policiers en civil surgissent, les plaquent contre un mur avant de les exfiltrer un par un vers le panier à salade. "Ils avaient prévu d'embarquer du monde pour faire du chiffre", assène-t-il avec la fébrilité du meneur convaincu. Parce qu'il a été touché par un tir, les policiers lui réservent un "traitement de faveur", ironise le jeune homme, persuadé que cela lui a valu d'être pris pour un casseur et donc le chef d'inculpation supplémentaire de "violence aggravée sur agent".
"Je suis resté calme car je savais que je n'avais rien fait", explique l'étudiant en droit, qui admet s'être inquiété d'une sanction à quelques semaines des examens du Barreau. A Villeneuve-la-Garenne (92), où il finit par être transféré à l'aube, les couvertures "puent la pisse", il ne voit jamais l'avocat dont il a donné le nom mais les policiers sont "vraiment sympas". Ravi d'entendre de la bouche de l'officier de police judiciaire que les jeunes interpellés "n'ont pas le profil habituel", il est finalement relâché vers 19h, avec un simple rappel à la loi. "Plus qu'injuste, je trouve mon interpellation ridicule", conclut-il, en rappelant que "ce n'est qu'en provoquant des débordements qu'on commence à faire un petit peu peur au gouvernement, même si on n'a pas encore lancé la révolution..."
Soazig, 22 ans : "On nous prend pour des cons"
Elle n'est pas sous le choc mais "hyper en colère". Même si sa voix douce, quasi timide, ne hausse jamais d'un ton. Grande brune élancée aux cheveux noués en tresse lâche, Soazig, 22 ans, ne comprend toujours pas son interpellation. Partie d'Austerlitz avec une bande d'amis et son tee-shirt jaune "accueil" de La Manif pour tous, hérité d'une précédente mobilisation, elle ne cesse de répéter qu'elle se trouvait "à l'extérieur" du cordon de CRS entourant les échauffourées.
Elle a même papoté avec des agents. "On a discuté de leur présence, fait la comparaison avec les événements du PSG", raconte la jeune stagiaire en management des ONG, qui évoque "une discussion de confiance" au cours de laquelle ils auraient convenu que le dispositif "était très politique".
Les violences se rapprochent et mettent fin aux échanges, Soazig s'éloigne et entame "un débat passionné" avec une poignée de jeunes qui l'"intriguent", car ils sont agenouillés non loin des policiers. "Quand on a levé la tête, les CRS avaient changé de sens et étaient maintenant vers nous", relate-t-elle. Un agent leur indique qu'il est temps de partir, par la rue de l'université côté Tour-Maubourg, mais quand ils y arrivent, il est trop tard. Les policiers "chargent avec des matraques". Elle aussi atterrit rue de l'Evangile, dans l'un des plus grands commissariats de Paris. Elle y restera un temps, après une fouille intégrale, enfermée dans une cellule avec 15 autres filles.
Un transfert "surrréaliste, à toute allure avec gyrophare et tout", la mène au commissariat du 7e arrondissement où elle subit un "interrogatoire destiné à la faire culpabiliser d'être là". Soazig insiste, elle n'a pas entendu de sommation. Elle aussi s'en tire avec un simple rappel à la loi, vers 17h30. "Je n'ai pas participé aux violences", se defend-elle. Mais elle ne peut retenir un gros mot : "On nous prend pour des cons, on ne se sent pas écoutés, donc je comprends que certains aient envie de faire quelque chose." Même ses parents sont "scandalisés par ces interpellations abusives".
Joachim, 25 ans : "C'est de la désobéissance civile"
Il révise ses examens dans les locaux d'une paroisse des Hauts-de-Seine mais consent volontiers à quitter son précis de droit "pour la bonne cause". Joachim, 25 ans mais déjà le visage grave, tignasse brune divisée en deux par une raie sur le côté et petite chaîne de baptême discrète, n'est pas parti après les discours. Il a même fait un tour de l'esplanade en reconnaissance. "Mais ça n'est pas très subversif de rester sur les pelouses", souligne-t-il, légèrement ironique. Son attitude relève de la "désobéissance civile", affirme cet adhérent de l'UNI, qui ne soutient pas du tout l'union civile prônée notamment par Frigide Barjot.
Finalement, lui aussi s'est retrouvé "coincé par le périmètre de CRS qui se réduisait", alors qu'il échangeait autour d'un feu sur l'une des rues qui traversent l'esplanade. "Pour montrer qu'on est pacifiques et non violents mais qu'on n'entend pas se laisser faire", il s'agenouille avec une vingtaine d'autres jeunes à quelques mètres des forces de l'ordre. Quand la police charge, Joachim se planque près d'un poteau, "courir est la meilleure manière de se faire frapper", lâche-t-il. Avec un ami de l'aumônerie qui "n'entendait pas rater les cours", il s'avance vers la sortie que lui indique "violemment" un CRS en l'attrapant par le col.
Il est interpellé au même moment que Pierre. Rue de l'Evangile, il patiente plusieurs heures dans la cour cernée de barbelés, entonnant des chants scouts et militaires avec un groupe de jeunes. "Je suis a priori en garde à vue (...), très bonne ambiance, bonne nuit", envoie-t-il par SMS à sa mère, qui lui répond : "Bon courage".
Transféré au commissariat de Pantin (93) vers 6 heures du matin avec "un ami d'ami", il sympathise avec des policiers "farouchement opposés au projet de loi". "Si je vous disais ce qu'ils pensent du gouvernement", sourit-il malicieusement. Lui aussi a répété qu'il n'avait pas entendu de sommation quelconque. Joachim sort vers 17h, en ayant attrapé une grosse crève mais "plus déterminé après qu'avant."
Arthur, 19 ans : "Je vais porter plainte"
C'est le plus jeune des interpellés rencontrés par francetv info, mais le seul qui n'en était pas à sa première garde à vue puisqu'il a fait partie des "70 du 15 avril". Frère jumeau, sœurs, tantes, cousins, c'est avec toute sa famille qu'Arthur a défilé dimanche. Le jeune homme, calvitie naissante planquée sous une grande mèche brune, barbe de trois jours et grands yeux bleus qui pétillent, conteste dans la rue la loi sur la mariage pour tous et soutient le Printemps français (cette nébuleuse radicalisée qui, comme lui, est entrée en "résistance" malgré le vote de la loi), dont il porte un autocollant sur la poitrine. A la fin des discours, il va se chercher des pizzas avec quelques amis. Quand il revient, les affrontements ont débuté et il finit par manger sous le drapeau tricolore qui lui sert de protection contre les gaz lacrymogènes, "au plus près" des violences. "C'est distrayant .. enfin presque", se justifie dans un sourire coupable le jeune homme, qui rappelle que "c'était la dernière manif".
Alors qu'il apporte une part de pizza à sa mère, restée avec Les Veilleurs, Arthur en profite pour discuter avec un CRS. "Un commissaire très sympathique" qui le renseigne sur "les méthodes de comptage". Puis ce dernier l'avertit : "Je vais faire deux coups de sommation, tirer deux fusées, il faut partir." Déjà interpellé un mois auparavant, Arthur déboule du côté de la Tour-Maubourg quand la police charge. "J'ai essayé de me faire embarquer dans les derniers en espérant qu'il n'y ait plus de place dans le panier à salade", raconte-t-il.
Raté, un mini-fourgon est affrété pour les treize derniers. Lui est conduit dans le 11e arrondissement, où il partage une cellule avec "un copain et un type très intelligent de 28 ans qui nous a dit être là pour trafic d'armes et avec qui on a philosophé". Libéré à 15h15 alors que son camarade voit sa détention prolongée d'une nuit, Arthur dénonce "une injustice et une incohérence" : "Ils n'ont arrêté qu'une trentaine de casseurs."
Sa prof de droit privé, dont il a loupé le cours, lui a envoyé un message de soutien et proposé les services d'un ami prêt à le défendre. "Détention arbitraire, non-respect du délai d'une heure entre le début de la garde-à-vue et sa notification", Arthur est sûr de son bon droit. Il compte porter plainte et demander un dédommagement.
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