Malgré les consignes qu'il a adressés à ses troupes, Mihailovic ne tente même pas de retourner en Serbie. Il sait le pari impossible. Harcelé par les partisans, il tourne en rond autour de Foca.
Un matin, il ordonne à plusieurs de ses compagnons de le quitter. Il veut qu'ils se rendent à l'étranger pour pouvoir témoigner. Surtout en France : "Les Français ont souffert comme nous, ils nous comprendront mieux que les autres".
A ses plus proches, il réserve des réflexions plus politiques. Est-ce la lassitude ? La maladie qui le guette ? Le sentiment de n'être plus qu'un condamné à mort en sursis ? La déception procurée par les hommes et leurs trahisons - ses fidèles tchetniks exceptés ? Ses propos se teintent désormais systématiquement de mysticisme. "Notre défaite, nos morts, notre combat, notre tragédie d'hier, d'aujourd'hui et de demain ne seront pas vains, assure-t-il, si le monde libre comprend, mais sans tarder, que pour ne pas être anéanti ou asservi par l'impérialisme soviétique il faut qu'il anéantisse le communisme et les agents qui le servent. Si le champ de bataille, qui est devant nous, ne devient pas très bientôt une partie du front démocratique, l'humanité sera la proie des hordes asiatiques ou bien le monde finira, par son autodestruction. (...) Notre vie, ne l'oubliez jamais, est au service de Dieu et de notre peuple. J'ai foi en la victoire de l'homme libre sur l'homme esclave. La guerre civile, qui fait rage ici, n'est que le commencement de la guerre générale. Je peux tomber, cela ne veut pas dire que notre peuple mourra avec moi. Les nations les plus fortes du monde seront tôt ou tard obligées, comme nous, de défendre leur liberté."
Une fois encore, Mihailovic se trompe sur la lucidité des gouvernements occidentaux.
En juin 1945, plus de 35 000 yougoslaves qui fuient le régime de Tito sont capturés par les Britanniques en Autriche. Il y a là des hommes, des femmes et des enfants. Des Serbes, des Slovènes, des Monténégrins et des Croates. Des monarchistes (parmi eux, Djurisic et les survivants du massacre de mars en Croatie), des fascistes, des membres de la Garde d'Etat croate et des oustachis. Des héros et des salauds. Certains n'ignorent pas qu'ils auront à répondre de leurs crimes, mais tous savent que la guerre est finie : ils sont officiellement des réfugiés sous la protection de l'Angleterre.
Un matin, les officiers britanniques du camp où ils ont été rassemblés leur ordonnent de monter dans un train qui doit les transférer dans un autre camp, à Palmanova, en Italie. Entassés dans des wagons à bestiaux, ils sont en fait envoyés en Slovénie où les attendent les pelotons d'exécution des partisans. Fusillés sans autre forme de procès, leurs corps seront jetés dans des fosses communes. Cette ultime trahison anglaise ne sera dévoilée que trente ans plus tard.
Mihailovic. Héros trahi par les Alliés, Jean-Christophe Buisson