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Au cœur de l'Utah, les Etats-Unis déploient leurs "grandes oreilles"

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Jusqu'à ces derniers jours, personne ne s'intéressait vraiment au gigantesque complexe industriel déja largement sorti de terre près de la bourgade de Bluffdale (Utah) plus connu pour sa secte de mormons polygames que pour son centre de stockage de données informatiques. Depuis que Edward Snowden a révélé l'ampleur des intrusions dans les communications de chacun, les yeux de l'Amérique sont désormais tournés vers ce paysage montagneux où la National Security Agency (NSA) doit inaugurer, en septembre, le plus grand centre d'interception des communications des Etats-Unis et sans doute du monde. Un centre dont l'histoire, presque passée inaperçue, offre un raccourci saisissant de l'opacité de l'administration américaine en la matière. 

Le cœur de cette cité de l'espionnage dont la facture est estimée à 2 milliards de dollars (1,5 milliard d'euros), sera constitué par un immense hall abritant des batteries de serveurs alimentés par une usine électrique intégrée de 65 mégawatts (pour un coût estimé à 40 millions de dollars par an) et refroidis par une usine spécialement dédiée. L'ensemble, hautement sécurisé (les installations de contrôle des visiteurs auront coûté à elles seules 10 million de dollars) s'étend sur l'ancien terrain d'aviation de Camp Williams, un vaste terrain d'entraînement de la Garde nationale. Comme cette dernière, la NSA dépend du ministère de la défense. 

Inutile de rechercher de description de ces énormes installations sur le site Internet officiel de l'agence. Mais la sérieuse revue Wired a levé le voile en 2012 en précisant la fonction de ce centre ultra sécurisé et secret : "intercepter, déchiffrer, analyser et stocker d'immenses quantités de communications dans le monde entier". Dans ses bases de données aux capacités colossales (elles sont mesurées en yottabits, un yottabit équivalent à 10 puissance 24 bits ou 5 x 10 puissance 20 pages de texte) seront stockés et analysés aussi bien les courriels privés que les communications téléphoniques, les recherches Google, les itinéraires empruntés, les achats et autres traces numériques laissées dans le monde entier.

D'après un responsable du renseignement cité par Wired, ce joyau de la NSA devrait surtout exceller dans l'art crucial du décryptage grâce à sa capacité, et donc à sa vitesse de calcul, décisive pour "casser" les codes et surmonter le cryptage des communications. 

"LA PLUS POTENTIELLEMENT INTRUSIVE DES AGENCES" 
Doté d'un budget généreusement abondé par le Congrès, surtout depuis le 11 septembre 2001, la NSA consacrerait à ces méga-grandes oreilles de l'Utah, les deux milliards de dollars déjà évoqués, dévolus aux seules infrastructures, auxquels s'ajouterait une somme équivalente pour les machines, les programmes et leur maintenance. Dénommé par euphémisme "Centre de données de l'Utah", le complexe de Bluffdale confirme la NSA, selon Wired, comme "la plus grande, la plus secrète, la plus potentiellement intrusive des agences de renseignement qui ait jamais existé". Le mystère entretenu sur la façon dont le centre a été conçu, construit, et sur ses futures fonctions opérationnelles donne tout son sens à la plaisanterie qui fait de NSA l'acronyme de "Never Say Anything" ("Ne dites jamais rien"). 

Ironiquement, l'un des sites qui fournit les photos et plans les plus détaillés du "big data center" en construction dans l'Utah est de nature parodique. Intitulé "Direction de la surveillance intérieure"une administration fictive proche du "Big Brother" de George Orwell et dont la devise est "Si vous n'avez rien à cacher, vous n'avez rien à craindre"– il vise à sensibiliser les citoyens aux enjeux des libertés publiques. 

Sur les sites officiels des agences de sécurité en revanche, l'unique occurrence des mots "Utah" ou "Camp Williams" renvoie à une conférence de presse tenue le 23 octobre 2009 au siège du Parlement de l'Utah par un haut dirigeant des services de renseignement fédéraux et deux sénateurs. Un petit bijou d'auto-congratulation prononcé dans la plus parfaite langue de bois. Il n'y est nullement question d'écoutes, mais de lutte contre les cyberattaques et autres "menaces provenant d'organisations criminelles". Est annoncée entre les lignes la construction du "centre le plus sophistiqué du monde pour traquer cette menace". Les élus se félicitent des 5 000 personnes qui travailleront sur le chantier et des 200 emplois permanents qui seront créés, "un hommage à l'Utah" en pleine crise économique. 

"CONFIANCE" 
"Quelles sortes de données seront-elles ciblées ?" ose un journaliste. "Je ne peux pas entrer dans les détails sur le genre de missions qui seront menées dans ce centre", répond le responsable du renseignement, Glenn Gaffney, un ancien de la CIA, en insistant sur la "nécessité de mieux protéger les infrastructures du pays". Le reporter insiste : "Mais si nous ne savons pas ce que vous faites, comment pouvons-nous être certains que vous n'empiéterez pas sur les libertés individuelles ?". La réponse se veut rassurante : les élus du Congrès "sont ultra mobilisés pour rendre ce pays sûr. (...) La confiance que vous avez en eux est absolument essentielle".

On ne peut mieux résumer le débat actuel, où nombre d'élus qualifient Edward Snowden de "traître" tandis qu'une partie de l'opinion le considère comme un "héros". Deux ans plus tard, le 6 janvier 2011 eut lieu une autre des rares cérémonies publiques à Camp Williams : Chris Inglis, le civil le plus haut placé à la NSA et le sénateur de l'Utah Orrin Hatch, munis de pelles dorées posèrent la première pierre d'un centre dont la fonction restait mystérieuse. Une cérémonie "surréaliste", rapporte Wired. "Avez-vous une idée de la fonction de ces futures installations ?", demanda un journaliste à un responsable de la chambre de commerce locale. "Absolument aucune, répondit-il en riant nerveusement. Mais je ne souhaite pas être espionné par eux".

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