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Channel: ORAGES D'ACIER
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La propagande des objets familiers : la voiture électrique

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Le constructeur Chrysler propose une voiture électrique dite "de proximité", la Peapod, qui ne dépasse pas les 40 km/h. Présentée par la marque comme une voiture qui "respire la bonne humeur" grâce au sourire imprimé sur sa face avant et à ses couleurs "aguichantes", elle se veut avant tout "pratique", notamment par son vaste espace intérieur dû à l'absence de moteur traditionnel. Elle est présentée sur un sol qui produit un reflet évanescent dans un climat de pureté.

Le design du véhicule est orienté vers l'affirmation de l'espace intérieur. La petitesse des phares, des roues et des rétroviseurs agrandit par contraste la voiturette. L'unique portière latérale est presque entièrement transparente, le pare-brise s'étend sur le toit pour rejoindre une grande vitre arrière, transformant l'objet en bulle. Les fonctions de la voiture s'effacent devant l'habitacle. Outre les couleurs de bonbon et les formes rondes, le ridicule des roues et des phares miniatures identifient cette voiture à un jouet. L'argument de "proximité", en plus de sa connotation écologique, renvoie à la famille, à l'enfance, à la régression

Cependant, le conducteur infantilisé se trouve au volant d'un objet doublement impudique. D'une part à cause des couleurs "aguichantes" selon les termes des vendeurs, d'autre part en raison de sa transparence qui livre le conducteur à la vue de tous, exposé dans une voiture gadget à vocation totalement publicitaire. Cette transparence ressemble au geste du prestidigitateur qui dévoile l'intérieur du chapeau pour montrer qu'aucun double-fond ne peut dissimuler le lapin. Dans la Peapod, impossible de trouver le moteur. D'où le sourire narquois de la voiture et sa "bonne humeur". Comme personne n'y croit, nous sommes évidemment dans le gag. Ce design ironique est la troisième étape du design des voitures. La première était le rêve. A l'époque de la DS, la voiture se profilait comme un avion parce que chacun croyait au progrès. La deuxième fut le ludique. 

(Ir) radieuse insolence
L'avenir ayant perdu de sa crédibilité, les voitures sont devenues des jouets, enfermant l'usager dans un jeu qui le déconnectait d'une réalité désormais impossible à envisager. Maintenant, cette dimension ludique s'expose dans une auto-dérision. A la manière dont la publicité, au discours usé, a rebondi en se moquant d'elle-même, le design de cette voiture rebondit en se présentant comme un gag, un pur tour de passe-passe.

A l'ère de Fukushima, la Peapod, dont la mobilité se fonde sur les centrales nucléaires, redouble d'insolence. En mettant les rieurs de son côté, elle nous ressert le discours de l'électricité propre, dans le déni des déchets et des contaminations radioactives. Mais, malgré elle, cette voiture dit plus que ce qu'elle a prévu. Son design de bulle aux vitres teintées nous dévoile ce qu'elle vend vraiment : la possibilité pour le conducteur de rester dans sa bulle, protégé de la connaissance.

Voici ce que lui dit en substance la Peapod : "Mon vrai tour de passe-passe, c'est de te permettre de croire à la technologie, à la durabilité, à tes privilèges. Je ricane pour que tu puisses ricaner avec moi. Enfermé dans ta bulle, à l'abri de tout savoir dérangeant, tu réduis tes déplacements à la proximité, dans le périmètre rassurant de ta tour d'ivoire. La proximité que je te vends n'est pas le lien social revendiqué par la décroissance mais le déni du système technicien et des liens de domination qui fournissent mon énergie électrique." 

La Décroissance N°98

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