Rebelles ! Savez-vous que c'et le nom par lequel les Nordistes désignaient les Confédérés pendant la guerre de Sécession. Les Sudistes le relevèrent et en firent un drapeau. Le surnom donné par un adversaire se voit souvent anobli au feu du combat. Deux siècles plus tôt, pour se gausser des compagnons de Guillaume d'Orange en révolte contre la couronne d'Espagne, les courtisans de Philippe II les qualifièrent de "gueux". Le mot fut repris par les soldats et les marins du Taciturne qui se nommèrent les "Gueux de la mer et firent voir à l'orgueilleux duc d'Albe et à ses successeurs ce qu'il en coûtait d'avoir contre soi cette sorte de gueuserie.
Le premier acte par lequel on cesse d'être soumis, par lequel on entre intellectuellement en insoumission, consiste toujours à se libérer de la peur ou de la fascination des mots. C'est par les mots, par leur pouvoir séducteur, corrosif ou intimidant, qu'un système habile enferme ceux qu'il veut neutraliser ou dominer, et cela bien avant de recourir à d'autres armes plus redoutables. Choisir le nom par lequel on désigne un adversaire, le nommer, c'est déjà s'imposer à lui, le faire entrer sans qu'il le sache, dans son propre jeu, préparer son anéantissement. Du fond du Goulag, entreprenant l'héroïque reconquête intérieure qui fit de lui un homme libre malgré les miradors et les barbelés, Soljentitsyne dit qu'il lui fallut d'abord vaincre en lui le mensonge que le communisme y avait déposé et en quoi consistait l'essentiel de son pouvoir et de sa nuisance. Les mots sont des instruments stratégiques. Se donner à soi-même ses propres mots, et d'abord se donner un nom, c'est affirmer son existence, son autonomie, sa liberté.
Dominique Venner, Le choc de l'histoire