En dehors du mécontentement et des souffrances de la population, quelles sont les conséquences d'une telle insécurité pour la société ? Le Figaro a publié le 4 mai 2010 une étude sur la question, réalisée par l'économiste Jacques Bichot. Chaque année, la délinquance et la criminalité coûtent aux victimes et à l'Etat un total d'environ 115 milliards d'euros, hors délits routiers. Dont 29 milliards d'infractions diverses, 22 milliards de fraude fiscale, 14 milliards de fraude informatique, 6,6 milliards pour les blessures volontaires, 5,3 milliards pour la drogue, 800 millions de fraudes aux prestations sociales. Les voitures incendiées coûtent à elles seules 1,5 milliard.
Le coût total de la déliquance et de la criminalité représente 5,6% du PIB. Comme l'a précisé l'économiste Jacques Bichot, c'est l'équivalent de deux fois le total des impôts sur le revenu. Rappelons que les retraites (selon l'Etat) ou l'immigration (selon Gourévitch) coûtent environ 30 milliards d'euros par an. Le déficit annuel de la France en serait-il un si l'on ramenait l'insécurité à son taux de l'après-guerre ? La réponse est claire : notre pays ne serait tout simplement pas endetté.
Bien évidemment, il n'est pas question d'excuser la gestion calamiteuse de notre administration ou de divers gouvernements de la Cinquième République. L'ignorance de l'insécurité fait d'ailleurs partie de cette gestion calamiteuse. De nombreux responsables se sont contentés de jouir de la République et de l'argent des contribuables , se prostituant à chaque échéance électorale pour cumuler prestige et train de vie, à des années lumières d'un quelconque intérêt général. Pour que cette galère vogue le plus longtemps possible, ces politiciens usent de leurs valets journalistes, et investissent dans la distraction. L'Etat au bord de la faillite dépense des millions d'euros en communication pour convaincre les gens qu'ils doivent urgemment et exclusivement s'inquiéter de la sécurité routière ou des violences faites aux femmes, autant de torts à redresser dont les Français seraient les seuls grands coupables. A quand une communication gouvernementale contre le vol, l'agression gratuite ou le viol ?
L'Etat tente d'inverser la hiérarchie de la réalité, en imposant dans le débat public des faits insignifiants, auxquels les publicitaires s'efforcent de donner de l'importance. Nous n'avons jamais autant parlé de la sécurité routière. Des sommes considérables sont allouées à la répression et la prévention dans ce domaine. Est-ce justifié ? Il y a 4 000 morts par an sur les routes de France. Pour combien de conducteurs et pour quelle densité de circulation ? C'est 7 fois moins qu'il y a quarante ans, alors que circulent 7 fois plus de véhicules sur nos routes. Du pont de vue de la sécurité, la courbe des accidents de la route est la seule qui baisse depuis les années 1970, pour atteindre un niveau quasi-irréductible aujourd'hui. Avec des dizaines de millions de conducteurs dont quelques centaines de milliers de chauffards, un taux de mortalité si bas tient du prodige.
La sécurité routière, c'est une arme de distraction massive, un argument politique de premier plan, et pas seulement la lubie d'un groupe d'oisifs associés se cherchant un étendard militant. C'est à peu près le seul bilan sur lequel personne n'a osé attaquer le Président Sarkozy en 2012. Parce que depuis l'instauration des règles (les années 70), il n'y a jamais eu si peu de morts sur les routes françaises. Ce bilan a précédé Sarkozy. Souvenez-vous, lors de sa réélection en 2002, en profitant de l'incompétence du communiste Gayssot, ministre des transports de Lionel Jospin, Jacques Chirac se lançait dans un programme de gouvernement ambitieux, dont les trois axes principaux concernaient la sécurité routière, la lutte contre le cancer, l'aide aux handicapés. Un programme de conseiller général. Chirac a été habile : avec force publicité, il a placé des faits non-critiquables, mais somme toute secondaires, au premier plan d'une politique dite d'intérêt national. Et il savait ce qu'il faisait : avec un énorme investissement de moyens humains et matériels, ces objectifs étaient à sa portée, et son bilan n'en serait que plus facile à défendre.
Bref historique : en 1971, la France dénombre 17 000 morts sur ses routes. Il faut dire qu'on peut rouler à 200 km/h avec un bon gramme dans le sang, sans ceinture de sécurité, sans pour autan être hors-la-loi. Après la mise en place d'une législation minimale, le décompte macabre s'infléchit sensiblement et s'établit autour des 10 000. La politique Chirac ramène ce chiffre à 6 000. Avec une nouvelle série de mesures (radars fixes, contrôles multipliés), Sarkozy divise quasiment ce chiffre par deux. Evidemment, la mort brutale d'un usager est un drame épouvantable, pour une famille. Mais on ne meurt pas que sur les routes, loin de là. La plupart des gens meurent dans les hôpitaux. Va-t-on les interdire ? Evidemment, on peut toujours réduire le nombre de morts, en sacrifiant toujours un peu plus la liberté des usagers. La réduction des libertés réduit mécaniquement les risques. Mais la liberté n'est-elle pas un risque acceptable ? Les chiffres sont-ils si catastrophiques ?
Dans notre pays, un accident a lieu tous les 251 666 k. Un conducteur est blessé tous les 5 millions de kilomètres. Un conducteur se tue tous les 126 millions de kilomètres. Il semble que ces constats nous laissent une certaine marge de manoeuvre, même si vous décidez d'être dix fois plus dangereux que vos petits camarades de klaxon. Sur une période de vingt ans, tout conducteur est statistiquement assuré de subir un accident (quand il est statistiquement assuré de subir bien plus d'une unique agression), qui a 0,002/1 chances de lui coûter la vie. Soit un risque sur 500. En imaginant qu'il ne s'agisse pas d'un calcul politique, effrayer les gens pour une si improbable éventualité est tout sauf rationnel et responsable.
Tenez-vous bien, en 100 ans de conduite, vous aurez en moyenne six accidents, et un risque sur cent d'y passer. Placez cent papiers dans une urne, tirez au sort : l'un d'entre eux est votre certificat de décès dans un accident de la route. Pour une vie de centenaire, ça se tente non ? A titre de comparaison, le tabac représenterait dans notre urne dix certificats de décès. Le risque que vous vous suicidiez est trois fois plus important. Le risque que vous vous fassiez violer est dix fois plus important... Trouvez-vous que la politique du gouvernement contre le viol est suffisante ? Et n'en concluez pas que rester dan votre canapé est plus sûr que de prendre le volant : selon une étude publiée en juillet 2012 dans la revue médicale britannique The Lancet, une personne sur dix meurt d'inactivité physique.
Oui, les cadavres de nos routes sont devenus les pantins des politiciens : par calcul, ils criminalisent des gens qui ne le méritent pas et dépensent pour ne pas dire extorquent leur argent pour construire le faux problème de la sécurité routière. L'Etat garantit l'entretien du sentiment de culpabilité.
Laurent Obertone, La France orange mécanique