L'étudiant de 23 ans et sympathisant de la Manif pour tous a été condamné à deux mois de prison ferme pour «rebellion» envers les forces de l'ordre. Une vingtaine de magistrats contestent le fondement juridique de son interpellation.
Alors que le procès en appel du jeune Nicolas Bernard-Buss, membre de la Manif pour tous incarcéré depuis le 19 juin à Fleury-Mérogis, se tient mardi prochain devant la cour d'appel de Paris, un collectif de magistrats s'est constitué pour dire son indignation et contester le fondement juridique de l'interpellation du jeune homme. «Le traitement policier et judiciaire qui a suivi a amorcé un mouvement de fond qui secoue non seulement l'opinion mais également la magistrature elle même», explique Jean-Paul Garraud, magistrat et ancien député UMP. Une vingtaine de magistrats en colère se sont tournés vers l'homme public -secrétaire national de l'UMP à la Justice- pour diffuser leur tribune sous la signature syndicale de la nouvelle Association Professionnelle des Magistrats, présidée par Jean-Paul Garraud.«C'est très intéressant car c'est un mouvement spontané de leur part, et non syndical, commente Jean-Paul Garraud. Je suis leur porte-voix car ils sont tenus à une obligation de réserve».
«Indignés, nous voulons souligner que cette décision (interpellation et condamnation de Nicolas, NDLR) et le contexte dans lequel elle a été rendue soulèvent au moins trois questions essentielles, sur le strict plan juridique d'abord», disent les magistrats dans la tribune. Ils rappellent que le droit de manifester n'est pas soumis en France à un régime d'autorisation préalable, mais seulement de déclaration préalable. La simple participation à une manifestation non déclarée ou interdite n'est pas répréhensible, seul l'organisateur encourt les foudres de la loi dans cette hypothèse (article 431-9 du Code pénal). «À défaut d'identifier l'organisateur d'une manifestation qui lui déplaît», le pouvoir politique a donc, selon eux, cherché à donner une nouvelle qualification juridique au mouvement qui se déroulait. C'est ainsi qu'est sortie la notion «d'attroupement» qui, susceptible de causer un trouble à l'ordre public, constitue une infraction dès lors que la sommation de se disperser reste sans effet». Selon les magistrats, la préfecture de police s'est dispensée de ces sommations, ce qui n'est possible que lorsque les policiers sont attaqués ou menacés, ce qui n'était pas le cas. Aussi, en l'absence d'infraction, l'interpellation de Nicolas Bernard-Buss et de ses amis est irrégulière, selon eux. «Pour reprendre une jurisprudence constante de la Cour de cassation, si l'interpellation est infondée, tous les actes qui suivent (ceux qui n'auraient pas existé sans celle-ci) ne sont pas plus fondés. Ils sont irréguliers. Il n'y alors plus ni rébellion puisque les policiers n'ont pas agi dans un cadre légal, ni refus de prélèvement ADN puisque ce prélèvement ne peut être effectué qu'auprès de suspects interpellés légitimement», rappelle les magistrats du collectif.
«Des procédures grossièrement illégales»
«La condamnation à la prison de Nicolas Bernard-Buss, mais avant cela la verbalisation des manifestants pour le seul port d'un sweat-shirt, nous a beaucoup choqués, nous devions réagir, explique un magistrat de la région Centre où 12 de ses confrères et consœurs se sont joints à la tribune. En 2006, Dieu sait qu'on en a fait des comparutions immédiates lors des manifs du CPE, jamais il n'y a eu de mandat de dépôt! Et les faucheurs OGM qui refusent de se soumettre aux prélèvement ADN, ils n'ont jamais été condamnés à autre chose qu'une amende! Cette différence de traitement nous a abasourdis, c'est une interprétation politique de la loi parfaitement scandaleuse, du grand n'importe quoi! Comment des juges ont-ils pu suivre des procédures aussi grossièrement illégales?!».
Dans leur tribune, ces indignés de la magistrature reviennent aussi sur la clause de conscience des maires opposés au mariage homosexuel et l'opposabilité juridique de la loi qui les contraint à célébrer ces unions, sous peine de condamnation. «Le pouvoir politique leur somme de taire leur conscience sous peine de poursuites pénales, rappellent-ils. Mais la rédaction des textes pénaux risque d'entraîner des déconvenues chez tous ceux qui condamnent avant de juger. Le fait, par un dépositaire de l'autorité publique, de prendre des mesures pour faire échec à l'exécution des lois est en effet répréhensible (article 432-1 du Code pénal). Le maire qui prendrait des mesures positives pour empêcher la célébration de mariages homosexuels au sein de sa mairie se rendrait donc coupable de l'infraction. Mais que dire du maire qui ne prend aucune mesure, qui se contente d'opposer une fin de non recevoir à une sollicitation? La loi sanctionne et réprime uniquement le fait positif. Le simple refus est l'acte négatif par excellence, c'est une inertie, c'est le contraire d'une mesure positive». De même, ajoutent-ils, «la discrimination, définie à l'article 225-1 du Code pénal et dont fait tant de cas le ministre de l'intérieur, s'appliquera difficilement au cas d'espèce. La célébration d'un mariage homosexuel ne constitue pas la fourniture d'un bien ou d'un service dont le refus est fautif quand il se fonde sur une discrimination. Or, c'est bien une condition de la discrimination en droit pénal: elle n'est répréhensible que quand elle consiste à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service».
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