Les universitaires qui s'intéressent à l'interaction entre la police et les mouvements sociaux abordent l'enjeu en le définissant soit de façon limitative, se contentant d'analyser l'utilisation de la force contre une manifestation ou des activistes, soit de manière englobante, étudiant toute manœuvre pour accroître le coût de la mobilisation et de l'engagement politique ou pour en réduire les bénéfices, y compris par le discours public et médiatique. Cette conception plus englobante permet d'inclure comme acteurs de la répression, aux côtés des policiers, des politiciens, leurs attachés de presse, les journalistes et même certains intellectuels et universitaires. Cette répression peut s'exprimer selon cinq dynamiques :
- la réduction des ressources dont disposent les mouvements sociaux et les activistes (les policiers visitent un propriétaire de salle pour le convaincre de ne pas la louer à tel groupe pour ses activités militantes ; les policiers manœuvrent pour qu'un activiste perde son emploi ; les procès coûtent cher et consomment beaucoup de temps et d'énergie...) ;
- la stigmatisation des activistes (par conférence de presse, policiers, politiciens, journalistes ou "experts" dépeignent tel groupe comme dangereux et violent) ;
- la division interne (les policiers jouent les divisions au sein d'un groupe ou d'un mouvement social en les exacerbant, félicitant les activistes "raisonnables" et "responsables", stigmatisant les "jeunes casseurs") ;
- l'intimidation (déploiement de force, vidéosurveillance explicite, insultes et menaces de vive voix) ;
- la coercition (violence)
A la répression peut s'ajouter le procédé de canalisation ou de cooptation des forces contestataires. Elles ne sont alors pas tant réprimées qu'intégrées par l’État et diverses institutions dans le cadre de dispositifs administratifs, par l'octroi de subventions, l'invitation à des tables de concertation et l'intégration à des programmes sociaux. Ces processus limitent d'autant la volonté des activistes d'adopter une attitude de confrontation face aux autorités qui pourraient les punir en leur retirant leurs privilèges.
En termes d'usage de la violence, la police peut adopter une approche préventive ou réactive, ou encore sélective ou globale, en ciblant quelques perturbateurs ou l'ensemble de la manifestation. Ces choix sont influencés par l'expérience particulière des différentes forces de police, par la formation des agents, par leurs effectifs et leur équipement, par leur degré d'autonomie face aux autorités politiques, par l'influence des médias et de l'opinion publique, par le type d'organisations, de revendications et de tactiques adoptées par les activistes.
Les études en sociologie ou en science politique des doctrines de contrôle de la foule ont permis de dégager une tendance de pacification relative au fil du XXe siècle, tout particulièrement à partir du début des années 1970. Face à une manifestation, les forces policières chercheront - en principe - à faire baisser la tension par un certain nombre de techniques qui doivent faciliter l'apaisement général : rencontre préalable avec des personnes responsables pour s'entendre sur le lieu de rassemblement, le trajet, le point de chute, l'horaire, les revendications, l'instauration d'un service d'ordre. (cf La Manif pour Tous). L'un des organisateurs des manifestations à Seattle en 1990 a révélé avoir rencontré des représentants des services secrets, du FBI, de la police municipale, de l’État de Washington, et même des représentants de la Maison-Blanche pour discuter des modalités des manifestations. Le politologue Olivier Filleule parle d'un "esprit de connivence" entre organisateurs et policiers, et la politologue Isabelle Sommier remarque que les organisations plus institutionnalisées comme le grands syndicats collaborent volontairement avec les policiers pour maintenir l'ordre et la discipline dans leurs manifestations, car les "éléments perturbateurs", "incontrôlés" ou autres "casseurs" menacent également leur autorité et leur respectabilité aux yeux des élites. (cf La Manif pour Tous)
Note de l'équipe : si le parallèle peut être fait avec La Manif pour Tous, c'est qu'on y rencontre tous les éléments développés par les politologues, le responsable de la sécurité de La Manif, et la porte-parole ont demandé de dénoncer tous les "perturbateurs" pour les remettre à la police, nombre de manifestants se sont vus menacer d'être amenés ou dénoncés à la police s'ils ne se comportaient pas comme ils le voulaient ; le responsable de la Manif a coopéré de façon très étroite avec les RG, et récemment, il a même donné une liste de noms à la Préfecture de police de Paris.
Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression