Depuis 2002, la gestation pour autrui (GPA) est légale en Grèce. Théoriquement soumise à des conditions très strictes, elle est en réalité au cœur d’un business florissant.
hessalonique, 500 km au nord d’Athènes. La deuxième ville de Grèce, ancienne cité ottomane, est aujourd’hui un port sans charme. Peu importe. Les visiteurs ne sont pas venus admirer les trois kilomètres de remparts qui la surplombent : la plupart des étrangers viennent à Thessalonique pour procréer. Fécondation in vitro, procréation médicalement assistée ou encore gestation pour autrui (GPA), les cliniques privées débordent d’offres pour satisfaire ces touristes de la fécondité venus du monde entier. La Grèce est l’un des rares pays à autoriser le recours aux mères porteuses.
Cette pratique, illégale en France, n’a jamais suscité de débat en Grèce. « L’aide à la procréation est un sujet très bien accepté par la société grecque car ce qui compte, c’est de donner la chance d’avoir un enfant, explique Katerina Fundedaki, professeur de droit civil à l’université de Thessalonique. On n’a rien dit contre les mères porteuses et on a aussi légitimé l’insémination post-mortem, ce qui est aussi encore plus extraordinaire ! Ça n’a créé aucune polémique, ni dans la société, ni devant le parlement. » Une mentalité qui a contribué au développement d’une véritable industrie du « tourisme de procréation. » Même si les mères porteuses n’interviennent que dans 1 à 2% des cas d’aide à la procréation, on compte plus d’une vingtaine de cliniques à Athènes et six à Thessalonique qui pratiquent la GPA. Pourtant, le processus est difficile, tant sur le plan médical que sur le plan juridique.
Un business florissant
En Grèce, c’est à la justice de décider si une personne a le droit de recourir à une mère porteuse ou non. Les conditions imposées sont nombreuses. Parmi elles, l’interdiction de payer la mère porteuse. Seuls ses frais médicaux et ses congés maternité doivent lui être remboursés. « Bien sûr qu’elles font cela pour de l’argent ! Sauf si c’est dans la famille, remarque Théophanô Papazissi, professeur de droit civil à Thessalonique. Devant le tribunal, on déclare que tout ce processus sera sans contrepartie ». Mais en réalité, nous avoue-t-elle, les rétributions se font sous la table. Les sommes en jeu sont importantes : minimum 20 000 euros pour porter l’enfant d’une autre pendant neuf mois.
« Ce sont des femmes jeunes, entre 25 et 35 ans, et elles le font parce qu’elles sont pauvres. C’est un choix par besoin », note Georgia, membre de l’association Magna Mater qui aide les femmes à avoir un enfant, en leur fournissant notamment une liste de mères porteuses potentielles. Certaines pages internet proposent même des profils de mères porteuses qui ressemblent aux sites de rencontre en ligne. Sous la photo, on trouve tous les détails : âge, nationalité, tarifs, conditions physiques… « Ce qui est inquiétant, c’est qu’il y a une sorte de réseau, une personne est rémunérée pour jouer les intermédiaires entre les mères porteuses et le centre », explique Katerina Fundedaki.
Des pratiques à la limite de la légalité
Mais d’où viennent ces candidates à la gestation pour autrui ? Si la société accepte le recours à la maternité de substitution, les Grecques ne conçoivent pas d’être elles-mêmes des mères porteuses. Ainsi, Roumaines, Albanaises et Bulgares sont recrutées pour porter le bébé d’une autre. Pourtant, selon la loi, la mère porteuse doit résider en Grèce. « Ce n’est pas difficile de contourner cela, juge le professeur Papazissi, en haussant les épaules. Depuis la fin de la dictature, ce n’est plus obligatoire de déclarer son lieu de résidence en Grèce. N’importe qui peut dire qu’il habite là, le tribunal ne peut pas vérifier, il n’y a pas de registre ». Un legs historique bien pratique que les avocats utilisent pour arranger des résidences fictives. Depuis l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne en 2007, l’exercice est encore plus facile : plus besoin de carte de séjour, les mères porteuses peuvent entrer et sortir du pays sans se faire remarquer.
Les futurs parents doivent aussi justifier d’une résidence permanente en Grèce. Certaines cliniques proposent même des intermédiaires rémunérés qui se chargent de constituer des fausses preuves de présence prolongée en Grèce : location d’un appartement bon marché pour obtenir un bail, tickets de caisse prouvant des achats dans la ville, inscription dans une bibliothèque…
Il suffit donc de s’arranger avec la législation, voire parfois de la contourner. Car si les restrictions imposées par la loi sont strictes, les contrôles sont rares. L’autorité indépendante chargée de surveiller l’aide à la procréation a fermé en 2008, officiellement pour des raisons économiques. « A mon avis, cette absence de contrôle n’est pas seulement le résultat de la crise économique, juge le professeur Fundedaki. C’est voulu. La procréation artificielle est une activité très, très lucrative. Les centres médicaux, les médecins, beaucoup de personnes ont intérêt à ce qu’on ne contrôle pas trop ce univers. »
Dans un pays où pullulent cabinets de gynécologie et cliniques privées d’aide à la procréation, difficile de résister à la pression des concurrents malhonnêtes. Si un médecin refuse de pratiquer des actes illégaux, comme l’achat d’ovocytes ou la rémunération de mères porteuses, il suffit de frapper à la porte de la clinique voisine pour obtenir satisfaction. Riche, le lobby médical est aussi très bien représenté au sein du parlement grec. Ses exigences sont relayées au plus au niveau de l’Etat.
Côté français, le recours à la gestation pour autrui « n’est pas un sujet ». « Je ne dis pas que ça ne le sera pas un jour, mais pour l’instant, on n’en a pas eu connaissance, précise Christophe Le Rigoleur, consul général de Thessalonique. Ce n’est pas parce qu’on ne le sait pas que ça n’existe pas ». Pour lui, impossible de détecter un enfant né d’une mère porteuse : ses parents sortent de la maternité avec le même certificat que si la mère légale avait accouché elle-même. Pas vu, pas pris. La France n’est pas prête de légaliser les mères porteuses. En attendant, rien de plus simple que de prendre l’avion et de faire un bébé, à trois heures de Paris, pour 40 000 euros.
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