On savait l’influence de Nicolas Sarkozy sans limites depuis son départ de la vie politique. La hausse continue du chômage depuis un an, c’est lui. L’incapacité de l’UMP à se trouver un nouveau chef naturel, encore lui. Mais ça, on l’ignorait : la condamnation au mitard d’un étudiant pour son opposition à la loi Taubira, c’est lui aussi ! De source sûre, puisque c’est Christiane Taubira elle-même qui l’a dit dans le poste la semaine dernière, sur BFM TV.
Alors non, l’ancien président ne s’est pas déguisé en assesseur pour faire pencher le verdict. Pas plus qu’il n’a tenu un couteau dans le dos de la juge Nathalie Dutartre. Non, c’est beaucoup plus subtil que ça : gouverner étant prévoir, notre Sarkozy national, qui a toujours vu plus loin que les autres, a fait voter toute une série de lois pour enfin envoyer croupir à Fleury-Mérogis tous les petits Nicolas Bernard-Buss.
Mais de quelles lois parle-t-on ? Les peines plancher pour les récidivistes ? Ben non, puisque notre délinquant a certes été condamné à 200 euros d’amende le 28 mai, mais pour d’autres chefs d’inculpation aussi violents que non-dispersion d’un rassemblement non autorisé et entrave à la circulation. Cette fois, il est tombé pour rébellion et soustraction à un prélèvement ADN ― et tant pis si la jurisprudence montre que pareil refus ne vous fait quasiment jamais passer par la case prison. Cherchons ailleurs. Du côté de la généralisation de la comparution immédiate, par exemple. « C’est l’ancien quinquennat », nous assure encore Christiane. Mais, si mes souvenirs sont bons, c’est bien le procureur de Paris qui a choisi cette voie procédurale, non ? Serait-ce donc sa faute, à ce bon magistrat ? Et puis, si je ne m’abuse, les militants antifascistes qui ont récemment fracassé les vitres des commerces et du mobilier urbain, dans le quartier de l’Opéra, c’est bien à l’automne qu’ils seront jugés…
Ah non, pardon, il ne faut pas comparer. À la journaliste de BFM esquissant timidement un parallèle entre le cas Nicolas et celui des adolescents du RER D, quittes pour un rappel à la loi avec gros yeux du juge en prime, la garde des Sceaux a ainsi répondu avec des yeux non moins gros : « Vous jouez un jeu très dangereux. » Petite admonestation qu’elle bisse, pour être sûre d’avoir été bien entendue. On n’a pas tout à fait compris la nature du danger, mais Christiane doit avoir ses raisons inaccessibles aux profanes que nous sommes. Il faudra qu’on s’en souvienne pour la prochaine fois : poser la question du deux poids, deux mesures menace bien plus le vivre ensemble socialiste que relâcher les délinquants.
Bref, elle a raison, Christiane : c’est Sarko. Les autres sont irréprochables. Les cerveaux de la loi d’abord, si merveilleusement écrite, au terme d’un débat contradictoire ayant permis à tous les acteurs de la société civile d’être entendus en toute quiétude. Les policiers en civil qui ont magnifiquement obéi aux ordres illégaux en procédant à une interpellation non motivée ― ben oui, puisque Nicolas a été condamné pour une rébellion postérieure à son interpellation… Les magistrats enfin, qui ont su tirer le meilleur du Code pénal. Prions d’ailleurs pour qu’ils ne se relâchent pas : Nicolas est jugé en appel aujourd’hui, et il ne s’agirait pas d’estimer maintenant que la juge Dutartre a trop chargé la barque.
Honnêtement, à ce niveau-là, ça devient clinique. Concernant le cas Taubira, le président de l’Association professionnelle des magistrats, l’ancien député Jean-Paul Garraud, balance entre « mauvaise foi » et « rare incompétence ». Peut-être est-elle aussi un brin fatiguée, Christiane. C’est vrai qu’elle doit pas bien dormir en ce moment, avec tous ces comités d’accueil dès qu’elle met le nez dehors, tous ces Veilleurs braquant leur conscience ophtalmique sur le ministère de la Justice. C’est sûr, son logement social, c’était plus anonyme. Espérons du moins que sa chambre est sur cour.
En tout cas, ça la travaille, cette histoire. À un passant parvenu à échanger avec elle place Vendôme, elle a ainsi posé cette question, avec ce zeste d’agressivité qui peut la caractériser quand vous ne faites pas la carpette sous ses talons : « Et vous allez continuer combien de temps comme ça ? Dix ans ? Vingt ans ? » Alors pour répondre, Christiane, de mon point de vue, quatre ans devraient suffire, même si le pire n’est jamais sûr.
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