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Channel: ORAGES D'ACIER
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La saloperie que nous n'achèterons pas : le logiciel libre

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Nous ne risquons pas d'acheter cette saloperie pour la bonne raison qu'elle est gratuite ! Enfin, en apparence... Selon la Free Software Foundation, organisation qui en assure la promotion, un logiciel est considéré comme libre s'il donne à son utilisateur : "Premièrement, la liberté de copier un programme et de le redistribuer à ses voisins, qu'ils puissent ainsi l'utiliser aussi bien que lui. Deuxièmement, la liberté de modifier un programme, qu'il puisse le contrôler plutôt qu'il le contrôle ; pour cela, le code doit lui être accessible." Pour que tout cela fonctionne, il faut tout de même des ordinateurs - fabriqués dans des conditions de semi-esclavage -, des fournisseurs d'accès à Internet, une infrastructure numérique gigantesque (câbles, data center, etc.), de l'énergie, qui eux, n'en déplaisent à ceux qui croient avoir trouvé là un moyen d'être autonomes des multinationales productrices de logiciels dits "propriétaires", les font dépendre de macro-systèmes techniques bel et bien créés et gérés par le Capital...
     De nombreux militants contestataires pensent que les logiciels libres leur permettent de contourner les circuits marchands et surtout de développer une informatique vraiment émancipatrice. C'est faire peu de cas de ce que représente de plus en plus le logiciel libre : une solution moins coûteuse et plus efficace que les logiciels propriétaires pour beaucoup d'entreprises et administrations - la gendarmerie nationale s'en serait même équipée ! D'ailleurs, les géants de l'industrie informatique comme IBM ou Intel financent Linux, LE système d'exploitation libre; contributif, ouvert, horizontal, etc., favorisent ce qu'on appelle dans le novlangue l'intelligence collective, celle qui permet d'innover en permanence et de détruire ce qui reste de vivable sur terre.
     Et cela depuis les débuts de l'informatique qui s'est développée grâce à ce fameux "esprit hacker". Les premiers programmes étaient sous licence libre, ils s'échangeaient entre chercheurs et universitaires avant que la commercialisation des ordinateurs personnels au début des années 80 n'entraîne la privatisation des logiciels, dont Bill Gates incarne la figure diabolique... Terminée la mythique "république des informaticiens", place au business ! Business qui a permis à l'informatique de pénétrer dans tous les foyers...
     Mais un utilisateur de Linux est-il si différent d'un utilisateur de Windows ? Taper ses textes sur Open Office est-il plus révolutionnaire que de le faire sur Word ? Surfer sur Mozilla rend-il plus libre que sur Safari ? Regarder une vidéo sur VLC média player abrutirait-il moins qu'avec Quicktime player ? On peut faire la même chose en libre qu'en propriétaire : gérer des projets, des bases de données, des établissements, une comptabilité, faire du e-learning, etc. Bref tout ce que l'informatique permet. Mais avec la conscience tranquille car on enrichirait moins les vilains patrons. Se rejoue ainsi le vieux débat entre marxistes et critiques de la société industrielle : les premiers défendent l'idée que si les moyens de production appartenaient aux prolétaires l'avenir serait radieux alors que les seconds critiquent les moyens de production eux-mêmes. Selon les marxistes et plus globalement les productivistes, les technologies seraient neutres, tout dépend de l'usage qu'on en fait. Aux mains des ouvriers une usine profiterait au peuple... C'est sûr qu'autogérées, les industries automobile, nucléaire ou chimique seraient tellement mieux ! 
     Le problème n'est pas tant que le déferlement technologique bénéficie à quelques multinationales qu'il produit une administration rationnelle de la vie. L'informatique, libre ou propriétaire, est la mise en ordre du monde selon une logique de rationalisation, de mise en gestion de toutes les activités humaines, de déqualification des métiers, de rupture d'avec l'expérience sensible, de dépendance accrue à la machine, de remodelage de l'humain, de disparition de l'intériorité et de destruction du lien social... L'exaction contraire de ce qu'on pourrait estimer être la Liberté. Pourtant, beaucoup considèrent que des logiciels peuvent être libres, sans doute parce qu'ils construisent leur propre aliénation en participant aux "communautés" autour de ceux-ci, logique perverse dans laquelle pour tenter d'échapper à la mainmise des marchands sur la culture numérique, ils s'investissent dans son déploiement, passant ainsi encore plus de temps devant leur écran. Ils n'ignorent pourtant pas que le principe même du monde numérique est d'être "participatif" - Facebook, pourtant considéré par ces milieux comme le Mal, n'a-t-il pas profité de la participation bénévole de 300 000 internautes qui l'ont traduit dans 70 langues différentes ? - et que le capitalisme avancé a besoin de la mobilisation de tous pour se déployer. On peut aussi se demander si une autoroute conçue et construite de manière collaborative serait plus émancipatrice !
     S'il n'y a pas de capitalisme à visage humain, il n'y a pas plus d'informatique à visage humain. Et ce, contrairement aux croyances actuelles dans lesquelles ce que Bertrand Méheust a qualifié de "politique de l'oxymore" joue un rôle important. "Logiciels libres", comme "développement durable", "croissance soutenable", "agriculture raisonnée" sont en effet des oxymores utilisés pour "favoriser la déstructuration des esprits, devenir des facteurs de pathologie et des outils de mensonge".

La Décroissance N° 99

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