Derrière le relativisme affiché de nos sociétés se cache donc une autre forme de totalitarisme que celui, belliciste et policier, du siècle écoulé. Nous sommes à l'heure de la
pouponnière totalitaire, sirupeuse et dévorante qui fabrique l'homme standardisé que réclame une certaine machinerie techno-capitaliste : elle se revendique démocrate et libérale, s'amuse au jeu de l'ambiguïté, de la rhétorique libertaire frelatée. Nul n'est cependant plus dangereux que la bête qui fait l'ange. La
pouponnière organise notre décérébration, mais prend soin de satisfaire nos besoins quotidiens et notre vanité. Renier les Lumières et organiser la prospérité et le divertissement narcissique ne sont pas des tâches incompatibles. Du pain, des jeux et de la sécurité... Voici venu le temps du
soft totalitarisme !
Nous n'en avons toujours pas fini avec l'épistémè totalitaire. Le clonage est la vérité de notre époque des masses, l'espoir platonicien et mortifère qui habite l'Occident - et qu'illustre parfaitement Houellebecq dans La possibilité d'une île. L'homme nouveau consumériste est arrivé : il se voue au grégarisme matérialiste, aux rythmes frénétiques de la consomption marchande. Il ne s'agit plus que d'assurer la production de clones et de bêtes, ou plus précisément d'un homme bestialisé et produit à des milliards d'exemplaires. Seul importe qu'il dévore, ingère, encore et encore, entretenant la survie du système à n'importe quel prix et accroissant surtout les profits engrangés par les égoïsmes régnants.
Eric Delbecque,
La métamorphose du pouvoir
