On pourrait dire qu'apparemment il n'y a rien de neuf sous le soleil. L'anthropologie nous a appris que, de tout temps, le pouvoir a dû s'appuyer sur le mensonge et les boucs émissaires pour asseoir son emprise. Mais les stratégies mensongères de l'ordre ancien présentaient malgré tout au moins un avantage, celui d'offrir en plus à la majorité dominée un espace de stabilité sociale et psychique. Le chaos était l'ennemi de l'ordre. Au XXe siècle, de nouvelles formes de contrôle social sont apparues, que l'on peut rassembler sous le concept d'ingénierie sociale, et dont l'objet est non seulement de déréaliser la sphère publique, comme par le passé, mais en outre de déstructurer intentionnellement le corps social et le psychisme individuel dans les classes populaires. Aujourd'hui, le chaos est l'instrument de l'ordre.
Ce nouvel ordre postmoderne, mondialisé, globalisé, résulte dès lors d'une alliance entre le mensonge, plus que jamais au cœur du système, et un certain nombre de techniques de déconstruction programmée des équilibres socioculturels. Le "pompier pyromane" est le nom de l'une de ces méthodes de marketing politique, qui consiste, par exemple, à créer en aval une "demande" de sécurité et y répondre par une "offre" sécuritaire. L'antiterrorisme, comme mode de gouvernement reposant sur la diffusion d'une peur inductrice de soumission dans les couches populaires, a donc absolument besoin de terroristes, réels ou fictifs. Il faut dès lors les créer, par l'entretien de conditions sociologiques favorables à leur émergence, ou, à défaut, de manière totalement imaginaire. Les vrais terroristes, les plus dangereux, sont ainsi ceux qui occupent le pouvoir et qui, depuis des décennies, travaillent à ce que nos banlieues et quartiers difficiles explosent, de sorte à maintenir sous pression le bon peuple et à le pousser "librement" dans les bras d'une réponse politique répressive d'ampleur totalitaire. Des flics déguisés en "Black Blocks" ou en "racailles" complètent le tableau en venant grossir les troupes des casseurs de manifestations. Mais chut, personne ne doit le savoir et tous doivent trembler devant les "bandes", les "barbus" et l'ultra-gauche, sortes d'épouvantails sur lesquels le système est entièrement fondé et sans lesquels il s'effondrerait rapidement. Pour résumer, la SNCF a mille fois plus à redouter de ceux qui sont en train de la privatiser que des saboteurs de caténaires.
Gouverner par le chaos, Collectif, éditions Max Milo, 9,90 euros