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Le droit de résistance à l'oppression du fonctionnaire

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Si le fonctionnaire doit en principe obéissance à ses supérieurs hiérarchiques, la désobéissance, nul ne l'ignore, devient un devoir lorsque l'ordre donné est "manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public". Cette formule jurisprudentielle classique, désormais inscrite dans le statut des fonctionnaires, suffit-elle à résoudre tous les dilemmes moraux qui peuvent se poser au fonctionnaire ? L'auteur plaide ici pour l'admission d'un véritable droit, voire d'un devoir de résistance à l'oppression.

Dans la fameuse affaire Langneur, qui est à l'origine de cette théorisation d'un devoir de résistance du fonctionnaire, l'agent public en cause a été fondé à résister à l'ordre de son supérieur parce que les actes ordonnés"présentaient de toute évidence un caractère illégal et que le requérant n'a pu ignorer qu'ils compromettaient gravement le service public". Il n'était nullement question de "résistance à l'oppression" dans cette espèce comme dans la plupart de celles qui justifient aujourd'hui le devoir de résistance ou de désobéissance des agents publics. 
     La résistance à l'oppression ne serait-elle pas plus une prescription touchant à la morale administrative ou à "la morale de l'administrateur" qu'une véritable obligation juridique ? N'est-on pas plus près ici de la déontologie que du droit, même si, fréquemment, les manquements à la déontologie sont aussi sanctionnés par le droit ?
     Selon les auteurs du Vocabulaire juridique, le droit de résistance à l'oppression se définit ainsi : "droit individuel reconnu, dans une certaine doctrine politique, aux gouvernés de s'opposer aux actes manifestement injustes des gouvernants, soit par non-exécution (résistance passive), soit par la force (résistance active), soit même par un soulèvement destiné à obtenir le retrait de l'acte et le départ des gouvernants (résistance agressive)".
     D'abord, le droit de résistance des agents publics à l'oppression ne se traduit pas uniquement sous la forme d'un droit individuel. Un des grands combats menés dans la fonction publique a précisément été de conquérir un droit de résistance collective à l'oppression dont les agents publics pouvaient être les victimes dans leur travail par la reconnaissance du droit syndical puis du droit de grève.
     Ensuite, résister à l'oppression, ce n'est pas simplement "s'opposer aux actes manifestement injustes des gouvernants". Autant que l'injuste, c'est l'aspect liberticide, voire tyrannique, de l'acte auquel on s'oppose qui prime. Opprimer c'est "accabler par violence, par excès d'autorité" (Dictionnaire de l'Académie française).
     Enfin, même si le "soulèvement destiné à obtenir le retrait de l'acte et le départ des gouvernants" est parfois rattaché au droit de résistance à l'oppression, il semble bien qu'il y ait là franchissement d'un seuil propre à distinguer le strict "droit de résistance à l'oppression" d'un véritable "droit à l'insurrection".
     Partant de ces remarques, comment dans une fonction publique républicaine légitimer un véritable devoir de résistance à l'oppression ? Ce devoir prend deux formes essentielles : la désobéissance et l'organisation. A titre individuel, le fonctionnaire a d'abord, le devoir de refuser d'obéir aux ordres arbitraires qui pourraient conduire à commettre des actes d'oppression contre la population (ou contre une catégorie d'individus). Les agents publics (ou du moins la plupart d'entre eux) ont ensuite un droit qui leur est reconnu de s'organiser (plutôt collectivement) contre les oppressions dont ils pourraient être les victimes dans l'exercice de leurs fonctions.

"Le devoir de résistance du fonctionnaire depuis 1946", Joël MEKHANTAR, AJDA, N°31/2004

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