Dès le 22 juillet, le colonel don José Moscardo y Ituarte, commandant de l’École des Cadets, a dû s'enfermer dans l'Alcazar avec tous ceux que l'avance des miliciens a contraints à y chercher refuge. Il y a près d'une semaine qu'ils vivent à l'abri de ses lourdes murailles, prêts à subir un siège, dont tout alors fait croire qu'ils verront bientôt la fin.
Cette cinquième journée a été relativement calme : rien que des escarmouches entre miliciens et gardes civils, parmi les étroites ruelles qui montent de la place Zocodover. Soudain, dans le bureau du colonel, l'appel du téléphone retentit (car les assiégeants l'utilisent toujours pour transmettre leur sommation aux défenseurs de l'Alcazar) :
- Colonel Moscardo ? interroge une voix au bout du fil ?
Que lui veut-on encore ? A tous les appels qu'on lui a adressés, ces jours derniers, pour qu'il consentît à se rendre, n'a-t-il pas invariablement répondu non ? Mais déjà la voix poursuit :
- Votre fils est fait prisonnier... Si vous ne vous rendez pas, nous le fusillerons.
A peine le colonel Moscardo a-t-il répondu : "Je ne me rendrais jamais !" qu'il reconnaît, au téléphone, la voix de son fils, un jeune homme de dix-huit ans qui faisait ses études d'ingénieur à Madrid et dont il ignorait encore qu'il fût à Tolède entre les mains de l'ennemi.
- Père, entend-il soudain, les hommes qui sont là disent qu'ils vont me fusiller... Rassurez-vous, ils ne me feront rien...
- Pour sauver ta vie, mon fils, ils veulent me prendre l'honneur et celui de tous ceux qui me sont confiés... Non, je ne livrerai pas l'Alcazar... Remets donc ton âme à Dieu, mon enfant, et que sa volonté soit faite.
... D'une main tremblante, le colonel Moscardo n'a pas raccroché l'appareil qu'il entend un feu de salve déchirer l'air du soir, puis retentir jusqu'au fond du ravin qui cerne la citadelle.
Les Rouges ont tué son fils, qui est mort en criant :
- Vive l'Espagne ! Vive le Christ Roi !
Il n'y aurait qu'à frémir, puis à s'incline, admirer, si, dans les sanglantes ténèbres de cette guerre d'Espagne, où les fils d'une même race manifestent un égal mépris pour la mort, de tels héros ne faisaient briller de sublimes clartés.
Un si digne, un si beau, un si saint langage nous découvre le sens d'une lutte où sont aux prises les forces farouches, celles qui avilissent, défigurent un malheureux peuple, et les nobles énergies qui veulent sauver ce qui ne lui semble plus que des chimères : la foi, la fierté, l'honneur de l'homme espagnol et de l'homme tout court.
Toute l'histoire de l'Espagne s'inscrit ainsi dans une suite d'images violemment contrastées, couleur de sang et d'or. La résistance des Cadets de l'Alcazar est la dernière de toutes et l'une des plus belles : elle incarne l'âme espagnole en un puissant symbole qui, dès l'abord, a transfiguré ces combats.
Robert Brasillach et Henri Massis, Les Cadets de l'Alcazar